Magazine Diplomatie

Hirak en Algérie entre emprise militaire et désillusion de la population

L’Algérie fournit en effet près de 11 % du gaz consommé en Europe, contre 47 % pour la Russie. L’Espagne et l’Italie figurent parmi les pays les plus fortement dépendants du gaz algérien (respectivement 40 % et 27 %) ; dans une moindre mesure la Turquie et la France (une dizaine de pourcents chacun). De là, une valse des diplomates s’est succédée à Alger depuis le début de la guerre en Ukraine : le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, le 30 mars 2022 ; le chef du gouvernement italien, Mario Draghi, le 11 avril ; le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le 13 avril, etc. La guerre en Ukraine offre ainsi une nouvelle légitimité, sur le plan international, aux autorités algériennes en mal de légitimité démocratique sur un plan interne. La diplomatie énergétique algérienne s’en trouve dès lors renforcée, en permettant par exemple de faire pression sur l’Espagne, alors que le pays a récemment soutenu le plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental.

Or, si l’Algérie figure au dixième rang mondial des pays producteurs de gaz, près de la moitié de sa production nationale est affectée à la consommation interne, en hausse constante depuis les années 2000 (8). Il en va de même du pétrole, dont la production est en baisse. La nouvelle loi sur les hydrocarbures n°19-13 du 11 décembre 2019 a ainsi été l’occasion d’alléger les charges fiscales pesant sur les producteurs (9). Reste la question de l’exploitation du gaz de schiste. Il s’agit d’un sujet particulièrement sensible dans la société civile algérienne, son évocation ayant soulevé en 2015 des mouvements de protestation, tant dans le nord que dans le sud du pays, face aux risques environnementaux qu’elle fait peser sur les populations locales.

L’Algérie reste par ailleurs toujours dépendante à près de 95 % de ses exportations de gaz et de pétrole. Les sommes considérables engrangées depuis le milieu des années 2000 n’ont pas permis une diversification de l’économie. Cette dépendance aux hydrocarbures s’est d’autant plus fait ressentir en contexte de Hirak où les « oligarques » algériens, que l’on présentait parfois, avant février 2019, comme une nouvelle force politique, n’ont pas fait le poids face à l’armée. En effet, nombre d’entre eux ont depuis été condamnés à de la prison ferme, du président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), Ali Haddad, proche du clan Bouteflika, à l’industriel Issad Rebrab qui, a contrario, avait été présent dans les premières marches qui ont suivi le 22 février 2019. L’armée continue d’ailleurs à constituer le premier poste de dépenses du pays, avec 9,1 milliards de dollars en 2021, soit, selon le SIPRI, le premier budget militaire d’Afrique et le quatrième au monde en part du PIB (5,6 %).

La jeunesse algérienne entre désenchantement, « fuite des cerveaux » et « harraga »

Quant à la jeunesse, elle avait constitué la force vive du Hirak où elle était particulièrement visible et surreprésentée dans les marches organisées de part et d’autre du pays. En effet, 45 % de la population algérienne est âgée de moins de 25 ans. L’espoir suscité par le 22 février 2019 laissait ainsi entendre des propos où un tel, à l’intérieur du pays, pouvait affirmer que pour la première fois il souhaitait rester en Algérie, tandis que dans la diaspora un autre pouvait dire qu’il souhaitait revenir au pays pour participer à son développement. Cet enthousiasme est cependant rapidement et brutalement retombé avec la répression de la contestation et la reconduction du régime.

À propos de l'auteur

Massensen  Cherbi

Docteur en droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas, chargé d’enseignement à Sciences Po Grenoble et à Sciences Po Paris, avocat à la Cour, inscrit au Barreau de Paris et auteur d’Algérie (De Boeck Supérieur, 2017 [2015]).

0
Votre panier