Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

La nouvelle bataille de l’Atlantique nord

En réalité, le réel déséquilibre des forces entre la Russie et les États membres de l’OTAN n’a fait que s’amplifier depuis trois décennies et la guerre en Ukraine a simplement permis d’acter le déclassement de la Russie comme puissance navale majeure. Les désastres successifs vécus par la flotte russe en mer Noire n’ont fait qu’ajouter à la mauvaise impression générale qui entoure les capacités navales russes. Le navire amiral de la flotte russe en mer Noire, le croiseur Moskva, a été gravement endommagé dans la soirée du 13 avril 2022 et a coulé (8). Les forces ukrainiennes ont déclaré avoir tiré deux missiles de croisière Neptune contre lui ; alors que le ministère de la Défense russe avait d’abord annoncé qu’un incendie à bord avait déclenché une explosion de munitions.

Il reste malgré tout évident qu’il ne faut pas sous-estimer les capacités de nuisance russes ; ce qui ne serait évidemment pas de bonne politique. Mais il ne faut pas non plus les exagérer, comme le faisaient régulièrement les experts occidentaux à propos des forces soviétiques du temps de la guerre froide. La Russie dispose de capacités basées dans la péninsule de Kola et en mer Baltique. Ces forces sont significatives et dotées de l’arme nucléaire. Dire qu’elles représentent une menace existentielle, même pour la Suède ou la Finlande, est probablement faire preuve d’une certaine exagération, tant les moyens dont disposent les pays de l’OTAN permettraient d’arrêter, certes avec des pertes réelles, une attaque russe de type conventionnel (la question d’une attaque russe avec des armes nucléaires tactiques est un autre sujet autrement plus grave, sans même parler de l’ouverture du feu nucléaire stratégique qui marquerait à coup sûr la fin de notre monde).

Les régions arctiques et baltiques : un intérêt stratégique majeur

L’intérêt géopolitique pour les régions nord-atlantiques, arctiques et baltiques n’est pas récent. Aux enjeux militaires et politiques traditionnels se sont ajoutés ces dernières décennies des enjeux environnementaux, énergétiques et miniers de première importance qui n’ont fait que tendre les relations entre États riverains ou États extérieurs à la région et désireux de jouer un rôle, à l’exemple de la Chine. La hausse générale de la demande mondiale pour les matières premières a contribué à faire de ces régions arctiques et nord-européennes un nouveau pôle d’attractivité pour le grand jeu de la quête aux ressources ; bien que les conditions d’extraction et d’exploitation des ressources de cette région se heurtent toujours à certaines réalités climatiques et physiques, comme la difficulté d’exploiter en offshore des ressources qui se trouvent dans des mers peu propices à une exploitation économique classique.

Il faut cependant distinguer les problématiques maritimes et terrestres de la mer Baltique de celles des autres espaces de ces régions. La mer Baltique est en effet une mer quasi fermée, dont l’exploitation économique approche deux millénaires. C’est aussi dans cet espace restreint que se concentrent les plus grands risques géopolitiques à caractère économique. L’exemple le plus parlant des difficultés géoéconomiques de la région reste les gazoducs NordStream 1 et NordStream 2 (9). Ces deux gazoducs sous-marins qui partent de la région de Vyborg, en Carélie russe, et qui rejoignent les côtes nord de l’Allemagne orientale symbolisent toute l’ambiguïté des rapports entre la Russie d’une part et ses principaux partenaires économiques et politiques européens d’autre part. Avec la guerre en Ukraine, les questions d’espionnage sous-marin, de violation des espaces maritimes souverains et d’acceptation de gazoducs considérés comme des cibles stratégiques de première importance ont occupé tout l’espace politique et médiatique, au point d’en faire oublier ce qui a d’abord motivé leur construction.

Ces gazoducs sont la traduction physique de trois réalités : l’inexistence d’une politique de l’énergie de l’Union européenne, et non de politiques de l’énergie de membres de l’Union européenne ; la volonté de la Russie de créer des marchés captifs pour l’exportation de son gaz naturel, ce qui semble aujourd’hui compromis avec la mise en place progressive de mesures d’embargo dans l’Union européenne touchant aux thématiques énergétiques ; la révélation, certes tardive, que l’Allemagne a longtemps joué cavalier seul sur ces sujets, en privilégiant un axe russo-allemand sous la présidence d’Angela Merkel, plutôt qu’une synergie entre partenaires européens sur un sujet aussi essentiel que l’énergie pour l’autonomie de l’Europe et la survie de son industrie. Sujet hautement symbolique mais révélateur de cette stratégie allemande des vingt dernières années, le Parlement européen s’est enfin prononcé le 19 mai 2022 en faveur de sanctions financières contre l’ancien chancelier Gerhard Schröder et le Bundestag lui a supprimé ses privilèges d’ancien chancelier, du fait de ses activités au service du secteur gazier russe et sa participation au conseil de surveillance de NordStream AG. L’instauration de multiples embargos, européens ou américains, sur les produits de l’économie russe est bien évidemment venue mettre à bas ce dispositif industriel, au moins tant que durera un état de tensions majeures entre Russes et Européens.

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