Magazine Moyen-Orient

Pétrole : géopolitique de la rente

Discrètes, les négociations entre les grands producteurs de pétrole de la planète sont fondamentales pour le commerce international, les enjeux géopolitiques mondiaux et le prix de l’essence à la pompe. De l’Afrique du Nord au golfe Persique, les hydrocarbures ont permis richesse et développement, transformant les sociétés, mais aussi, et surtout, créé dépendance et rente. Si ce système est remis en question, y compris en Arabie saoudite, la plus grande puissance pétrolière, il n’est pas si facile de changer, notamment lorsque la Chine s’impose comme le principal client de la région.

Piégé dans des formations géologiques sous la terre et les océans, le pétrole est une huile composée de résidus d’organismes vivants. Rien ne la destinait alors à devenir l’« or noir » indispensable à l’économie mondiale. Le pétrole, c’est l’essence, donc le transport ; c’est le plastique, des cosmétiques, des polymères nécessaires à la fabrication de nombreux produits… Et le Moyen-Orient est au cœur de cette énergie.

Si son usage est connu dès l’Antiquité, le pétrole fait l’objet d’une exploitation industrielle à partir des années 1850, en Europe de l’Est et aux États-Unis. La course au brut permet des découvertes de sites importants au début du XXe siècle, notamment à Masjed Soleiman, en Iran, en 1908. C’est le premier champ pétrolifère identifié au Moyen-Orient, avant que le golfe Persique n’attise les convoitises. Dans les années 1920 et 1930, les autres territoires de la région révèlent leurs richesses, comme Bahreïn. Un siècle plus tard, ce dernier a été complètement transformé par le développement qu’a permis le pétrole. Toutefois, il n’est pas au centre du jeu géoéconomique, n’ayant presque plus de ressources.

La région la plus riche en brut

D’après la British Petroleum, fin 2020, la première puissance pétrolière du Moyen-Orient (et du monde) est l’Arabie saoudite, avec 297,5 milliards de barils de réserves prouvées. Contrôlant le plus grand gisement de la planète, celui de Ghawar (280 kilomètres de long sur 30 de large, dans l’est du pays), elle a la capacité de pouvoir « ouvrir (ou fermer) le robinet » selon la demande, et ce à des coûts de production faibles, son brut étant « propre ». C’est ce qui la distingue du Venezuela, qui a les plus importantes réserves (303,8 milliards de barils), mais doit engager des frais élevés pour traiter la matière première, sans oublier que le régime Al-Saoud fait figure de « modèle » de stabilité politique par rapport aux crises secouant Caracas. Aucune autre région que le Machrek ne possède une telle richesse en pétrole, avec 48,3 % des réserves mondiales, tout ou presque étant concentré dans l’espace géographique de l’Arabie saoudite (17,2 %), de l’Iran (9,1 %), de l’Irak (8,4 %), du Koweït (5,9 %) et des Émirats arabes unis (5,6 %).

Cette richesse géologique donne au golfe Persique une place à part dans l’économie mondiale, expliquant l’importance stratégique du détroit d’Ormuz. Si des projets existent pour éviter ce passage, sensible aux tensions entre les riverains, un tiers des hydrocarbures de la planète y transite. Les principaux clients sont l’Europe et la Chine, les États-Unis achetant de moins en moins de pétrole à l’étranger avec le développement de leur propre secteur. L’Arabie saoudite apparaît en haut de l’affiche avec 8 millions de barils exportés par jour en 2020, sur un total mondial de 65 millions.
Dans le jeu de l’offre et de la demande, les négociations sont rudes, et les tensions fortes entre les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), créée en 1960. Car du prix du baril va dépendre le budget de pays soumis à la rente pour leur développement et leurs besoins quotidiens. Dans les monarchies du Golfe, le « pacte social » a longtemps été de laisser un régime en place à condition qu’il sache gérer les revenus pétroliers pour le bien-être de ses administrés. Avec les crises économiques, notamment la récession causée par la pandémie de Covid-19 en 2020, ce système est remis en question et invite à renoncer au « tout pétrole ».

<strong>Le golfe Persique, cœur mondial du pétrole</strong>
<strong>Exportations de pétrole brut et de produits pétroliers de la région du Moyen-Orient</strong>
Article paru dans la revue Moyen-Orient n°53, « Pétrole : géopolitique de la rente », Janvier-Mars 2022.

À propos de l'auteur

Guillaume Fourmont

Guillaume Fourmont est le rédacteur en chef des revues Carto et Moyen-Orient. Il a précédemment travaillé pour les quotidiens espagnols El País et Público. Diplômé de l’Institut français de géopolitique (université de Paris VIII Vincennes Saint-Denis), il est l’auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite : La guerre intérieure (Ellipses, 2005) et Madrid : Régénérations (Autrement, 2009). Il enseigne à l’Institut d’études politiques de Grenoble sur les monarchies du golfe Persique.

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