L’alourdissement des véhicules a de nombreuses conséquences opérationnelles à prendre en compte
Solution de court terme, voire d’urgence, le (sur)blindage conduit à l’alourdissement (4) des véhicules et peut avoir des conséquences négatives à moyen terme : manque de maniabilité, pouvant même conduire à des accidents (5), manque de discrétion visuelle, diminution des possibilités d’effet de surprise, empreinte logistique accrue (surconsommation d’essence) et diminution de l’autonomie.
Le volume du véhicule en est aussi une conséquence directe : si la forme de ces véhicules prend mieux en compte la menace IED, leur centre de gravité se trouve plus haut, ce qui augmente considérablement les risques de retournement et d’accidents, notamment sur les terrains à fort dévers. Les véhicules sont donc d’autant plus canalisés par les terrains compartimentés, dont ils peuvent encore moins s’extraire. Leur taille importante réduit également leur discrétion, et augmente leur exposition aux coups directs de l’ennemi, dans une situation actuelle de prolifération des menaces antichars.
La logistique est une autre des fonctions impactées par l’augmentation du poids des véhicules. L’ensemble de la gamme SCORPION consommera ainsi beaucoup plus (6). Par exemple, le Griffon consomme 50 l aux 100 km (pour une autonomie de 800 km) quand le VAB consommait aux alentours de 30 l/100 km, ce qui lui conférait une autonomie de 1 000 km. Leur aérotransportabilité est aussi fonction de leur volume : le commandant du Corps des Marines Jim Conway avait ainsi critiqué en 2007 l’impossibilité de transporter les MRAP par hélicoptère ou par bateau.
Enfin, l’importance du franchissement de coupures humide a encore été illustrée dans les opérations récentes en Ukraine. Les capacités de franchissement autonomes ont pourtant été progressivement abandonnées au profit d’une augmentation du poids des VBL et des VAB (une capacité des VAB qui aura d’ailleurs permis une bonne surprise puisque leur coque en V les rendait plus résistants aux IED que leurs équivalents des autres armées de la coalition). Le surblindage des VAB (près de 2 t en plus) leur a fait perdre leur capacité amphibie. L’analyse de certains des échecs russes montre l’importance de pouvoir prendre rapidement pied sur l’autre rive, sans de longues préparations qui permettent à l’adversaire d’organiser sa défense. Ces franchissements rapides ne peuvent être uniquement réalisés par des troupes à pied ou sur des véhicules absolument non protégés : des moyens blindés, légers, offrent de ce côté des options appréciables pour la manœuvre.
Trouver le bon équilibre entre la sécurité de la force et le besoin de manœuvre en fonction du théâtre
Il ne s’agit bien évidemment pas de critiquer cette attention portée à la protection et à la survie de l’équipage, mais de revenir sur le risque que nous qualifierons ici de « syndrome de la ligne Maginot » : la recherche d’une protection pour la protection, et qui prendrait le risque de perdre de vue la fonction même de certains véhicules. Or, et comme le soulignait le FM3‑24, « parfois, plus vous protégez vos forces, moins vous êtes en sécurité (7) ». En 2014, lors d’une conférence, le général Stanley McChrystal, alors en retraite, évoquait ainsi la tentation de la ligne Maginot (8) : « At the end of the first world war the great takeway was that defensive arms were stronger than offensive arms. And trenches worked very well to stop enemy attachs. So in the interwar years, specifically the 1930s the French looked at a growing strength in Nazi Germany and they decided we need to do something to protect ourselves. The thing about the Maginot Line is it worked. It did exactly what it was designed to do. The Germans did not breach the Maginot Line in 1940. […] The French had solved that problem but they had not solved the real problem. […] The answer was to an incorrect question. »