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Vers le grand large : les ambitions de la Chine dans le Pacifique

La dimension stratégique de l’intérêt de la Chine pour le Pacifique

Avec le développement remarquable des capacités de la marine chinoise depuis la fin des années 1990, les ambitions de la Chine et sa présence se sont accrues dans le Pacifique. Face aux États-Unis et à leurs alliés régionaux, au premier rang desquels se situe l’Australie — membre de l’alliance AUKUS destinée à contenir la Chine —, l’importance géostratégique des États du Pacifique s’est accrue pour Pékin. La Chine dénonce les efforts de Washington pour renforcer leurs positions dans une région qui constitue désormais pour Pékin une nouvelle ligne de front de sa rivalité avec les États-Unis (12).

Les États du Pacifique se situent en effet sur les principales voies de communication du Pacifique Sud, vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’Antarctique — où la Chine organise régulièrement des missions scientifiques — et le continent américain. Ils constituent, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, une seconde chaîne d’îles qui ferment l’accès du Pacifique à la marine chinoise. Pour Pékin, gagner des points d’ancrage dans la région contribue à réduire les positions des États-Unis et de leurs alliés dans la perspective d’un conflit dans le détroit de Taïwan (13). En avançant ses positions vers le Pacifique Sud grâce aux bonnes relations tissées avec les États de la région, la Chine espère à terme gagner une plus grande profondeur stratégique. Si cet objectif demeure pour une large part illusoire, la multiplication de projets à usage potentiellement dual, même s’ils rencontrent des succès limités, inquiètent dans la région. À Tahiti, la Chine n’avait pas abandonné, en 2022, son projet de ferme aquacole à Nui, soutenu par le gouvernement d’Édouard Fritch. Plus grande ferme aquacole du Pacifique Sud, le projet offrirait également à la Chine un port en eau profonde et une piste d’atterrissage (14). Au Vanuatu, un projet de quai de débarquement sur l’île de Santo a en revanche été suspendu (15). Un autre projet de location, par une compagnie chinoise, de l’île de Tulagi, dans les îles Salomon, haut lieu de la guerre du Pacifique avec sa voisine Guadalcanal, a également été suspendu, dénoncé par l’opposition (16).

Les opérations de secours humanitaire sont présentées comme des exercices de débarquement amphibie de la marine chinoise, avec un matériel important et la coordination de capacités aériennes et navales, par exemple à la suite de l’éruption volcanique du mois de janvier 2021 à Tonga (17).
La Chine ne possède pas encore de base dans le Pacifique, mais elle aurait signé un projet d’accord « secret » avec Sogavare, le Premier ministre des îles Salomon. À la demande des autorités, la Chine pourrait envoyer des unités de police armées ainsi que des militaires pour « maintenir l’ordre ». En échange, la Chine aurait accès à toute « facilité nécessaire ». En choisissant la Chine, si l’accord entre en vigueur, les îles Salomon s’éloignent un peu plus de l’Australie, jusqu’alors premier garant de leur sécurité (18).

Des moyens diversifiés au service des intérêts de la RPC

La Chine développe une stratégie de long terme au service de ses intérêts dans le Pacifique. Elle mobilise pour se faire des moyens importants, diplomatiques, économiques, financiers et d’influence pour renforcer ses positions dans la région.

Une diplomatie dynamique

Les États du Pacifique sont devenus une cible de la diplomatie chinoise depuis le début des années 2000 (19). En 2006, Wen Jiabao s’est rendu à Fidji — première visite d’un Premier ministre chinois dans la région. Il y a inauguré le China Pacific economic development and cooperation forum (Forum de la Chine et des pays insulaires du Pacifique pour le développement économique et la coopération). Trois ans plus tard, la Chine annonçait sa volonté d’approfondir les liens avec les pays du Pacifique et d’augmenter sa contribution au développement. En 2014, c’est Xi Jinping lui-même qui s’est rendu à Fidji, première visite d’un président chinois dans la région. À cette occasion, les relations de la Chine avec les États du Pacifique ont été élevées au rang de « partenariat stratégique ». Depuis, les échanges n’ont cessé de se multiplier, ainsi que les nombreuses visites de dirigeants de la région en Chine. La Chine déclare fonder ces relations sur les principes du gagnant-gagnant, du respect mutuel et du traitement à égalité — mantra du discours chinois en direction des États les plus faibles et les plus redevables. C’est ce qu’a répété Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, à l’occasion de la première rencontre des ministres des Affaires étrangères Chine-pays du Pacifique qui s’est tenue au mois d’octobre 2021 (20).

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