S’il est illusoire de vouloir faire disparaître entièrement les biais cognitifs, il est cependant possible de les atténuer : d’abord par la mise en place dans les services de circuits de relecture et de validation des analyses, sur le modèle des travaux scientifiques (20) ; ensuite – et la démarche est plus aléatoire –, en s’assurant que les décideurs ne sont pas entourés de courtisans ou de conseillers terrifiés et sont correctement alimentés en évaluations franches et solides, quitte à ce qu’elles heurtent leurs propres croyances (21). Un service de renseignements doit, à ce titre, être également un outil de réduction des certitudes.
Manifestement isolé, le président russe paye la nature même de son régime (22), comme l’a récemment rappelé le chef du Government communications headquarters (GCHQ) à l’occasion d’une conférence donnée en Australie le 31 mars dernier (23). Il est permis de s’interroger, in fine, sur les influences ayant pesé sur la diplomatie française. Blâmer les services est une chose, déterminer qui des « visiteurs du soir » du président l’a conduit à croire que Vladimir Poutine était accessible à la raison et ouvert au dialogue en est une autre.
Notes
(1) Serge Caplain, « Penser son ennemi. Modélisations de l’adversaire dans les forces armées », Focus Stratégique, no 82, IFRI, juillet 2018.
(2) Benjamin Oudet et Olivier Chopin, Renseignement et sécurité, Armand Colin, Paris, 2016.
(3) Yves Trotignon, « Affaire Skripal : les pratiques traditionnelles du renseignement ne disparaissent pas », Le Monde, 26 mars 2018.
(4) Céline Marangé, « Les Stratégies et pratiques d’influence de la Russie », Études de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), no 49, mars 2017.
(5) Jessica Brandt, « Preempting Putin : Washington’s campaign of intelligence disclosures is complicating Moscow’s plans for Ukraine », Brookings Institution, 18 février 2022.
(6) Michael D. Shear, « Citing U.S. Intelligence, Biden Says Putin Has Decided to Invade Ukraine », The New York Times, 18 mars 2022.
(7) Julian E. Barnes et Helene Cooper, « U.S. Battles Putin by Disclosing His Next Possible Moves », The New York Times, 12 février 2022.
(8) Julian E. Barnes et David E. Sanger, « Accurate U.S. intelligence did not stop Putin, but it gave Biden big advantages », The New York Times, 24 février 2022.
(9) Bernard Bajolet, « LA DGSE, outil de réduction de l’incertitude », Revue Défense Nationale, Paris, no 766, janvier 2014, p. 27 à 31.
(10) Élise Vincent, « Guerre en Ukraine : “le rouleau compresseur” russe risque de finir par passer, selon le chef d’état-major des armées », Le Monde, 6 mars 2022.
(11) Sur le site du ministère des Armées : https://www.defense.gouv.fr/drm.
(12) Sur le site de la DGSE : https://www.dgse.gouv.fr/fr/nous-connaitre/nos-missions#geopolitique.
(13) L’affaire des sous-marins australiens a conduit le PR à demander un audit au SGDSN le 21 septembre 2021. Cf. Élise Vincent, « Affaire des sous-marins : l’Élysée a demandé une enquête sur les raisons de l’échec français », Le Monde, 16 octobre 2021.
(14) « Qu’il s’agisse de la Russie ou de la Chine, le retour de la compétition stratégique et militaire est désormais assumé », in Actualisation stratégique 2021, DICoD, janvier 2021, p. 17.
(15) Élise Vincent, « Les leçons de la guerre en Ukraine pour le renseignement militaire français », Le Monde, 13 avril 2022.
(16) Barbara Starr, Ellie Kaufman et Jeremy Herb, « Top US general in Europe : An intelligence gap could have caused the US to overestimate Russia’s military », CNN, 29 mars 2022.
(17) Michael R. Gordon, Bojan Pancevski, Noemie Bisserbe et Marcus Walker, « Vladimir Putin’s 20-Year March to War in Ukraine — and How the West Mishandled It », The Wall Street Journal, 1er avril 2022.
(18) Michel Goya, sur son blog, est revenu le 4 mars sur les mécanismes ayant conduit à ces erreurs d’appréciation (https://lavoiedelepee.blogspot.com/2022/03/erreurs.html).
(19) Roberta Wohlstetter, Pearl Harbor : Warning and Decision, Stanford University Press, Redwood City, 1962.
(20) C’est notamment le cas à la DGSE, et la démarche est préconisée avec insistance par la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme.
(21) On pourra, à cet égard, relire les premiers chapitres du livre de Harrison Salisbury, Les 900 jours. Le siège de Leningrad (Albin Michel, Paris, 1970) ou le tome 2 de la magistrale biographie d’Adolph Hitler par Ian Kershaw, Hitler : 1936-1945 (Flammarion, Paris, 2000).
(22) David Remlnick, « The Weakness of the Despot », The New Yorker, 11 mars 2022.
(23) « Director GCHQ’s speech on global security amid war in Ukraine », sur le site du GCHQ (https://www.gchq.gov.uk/speech/director-gchq-global-security-amid-russia-invasion-of-ukraine).
Légende de la photo en première page : Atterrissage d’un C-160G. Les deux appareils de ce type ont été retirés du service en mars. (© Flight Video and Photo/Shutterstock)