Magazine Diplomatie

Chine : 2022, l’année de tous les périls ?

L’année 2022 semble être l’année de tous les périls pour Xi Jinping. La guerre en Ukraine, le ralentissement de l’économie chinoise, la recrudescence de l’épidémie de Covid-19, l’aggravation des problèmes énergétiques et alimentaires, la croissance du mécontentement populaire diffus mais bien réel sont autant de problèmes que Xi Jinping doit affronter à la veille d’un 20e congrès national du Parti communiste chinois (PCC), crucial pour son avenir à la tête du pays.

Le congrès est en effet censé inaugurer un tournant historique puisqu’il devrait reconduire Xi Jinping à la tête de l’État-parti chinois pour un troisième mandat et cimenter son pourvoir en tant que dirigeant du peuple capable de braver toutes les tempêtes sur la voie du grand renouveau national. Or, les tempêtes sont apparues plus tôt que prévu en secouant de manière importante, voire même critique, la stabilité chinoise, ce concept clé qui assure la légitimité politique du PCC. Le maintien de la stabilité, considéré comme un prérequis indispensable à l’accession de la Chine au rang de grande puissance par tous les dirigeants chinois depuis Deng Xiaoping, se trouve aujourd’hui ébranlé à la fois par les facteurs internes et par les changements majeurs du contexte extérieur. Comment faire face à ces défis et gérer leurs conséquences ?

La position de Pékin vis-à-vis de la guerre en Ukraine : un pari risqué ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Pékin s’efforce de préserver une sorte de neutralité pro-Kremlin en se cachant derrière ses formules diplomatiques habituelles qui mettent en avant les principes de la non-ingérence et du respect de la souveraineté ainsi que de l’intégrité territoriale des États. À l’intérieur de la Chine, les médias présentent l’invasion russe de l’Ukraine comme une « opération militaire spéciale », dénoncent les sanctions occidentales contre la Russie et défendent la légitimité de préoccupations sécuritaires de Moscou vis-à-vis de l’élargissement de l’OTAN vers l’est. Ce faisant, les relais d’information officiels reprennent les éléments du discours propagandiste du Kremlin en participant ainsi à sa campagne de désinformation qui vise surtout à promouvoir l’idée que les États-Unis sont les véritables responsables de l’escalade du conflit et qu’ils cherchent par tous les moyens à prolonger la guerre afin d’affaiblir la Russie. Les chaînes de télévision chinoises n’ont pas hésité à répéter les affirmations du Kremlin sur la présence en Ukraine d’armes biologiques dans les laboratoires financés par les États-Unis ou bien sur le soi-disant contrôle du président ukrainien Volodymyr Zelensky par le milliardaire américain George Soros. Les rares voix qui contestent ce récit officiel sont vite censurées et publiquement dénigrées. Ce fut le cas, par exemple, de Wang Jixian, le programmeur chinois installé à Odessa et qui a commencé à mettre en ligne de courtes vidéos décrivant sa vie quotidienne en Ukraine sous les bombardements russes. Ses mises à jour, qui contredisent la version officielle des événements, attirent l’attention de nombreux internautes chinois, même si certains d’entre eux l’accusent d’être le traître à la solde des États-Unis et de diffuser les fake news. Bien que les dépêches de Wang soient vite bloquées et son compte WeChat fermé, les autorités chinoises censurent également toutes les publications sur les réseaux sociaux qui sont trop pro-guerre ou anti-ukrainiennes, l’objectif étant de maintenir une sorte d’équilibre ambigu entre le refus de condamner l’invasion russe et le refus de la soutenir. En effet, bien que Pékin refuse de publiquement désavouer son grand partenaire stratégique, les autorités chinoises se sont largement conformées aux sanctions imposées par les Occidentaux à l’encontre de la Russie. Les entreprises chinoises ont bien suivi des compagnies occidentales dans leur exode du marché russe : les géants de la tech chinois — Lenovo, TikTok et Huawei — ont bloqué toutes leurs opérations en Russie, alors que les constructeurs chinois des modules arctiques pour le mégaprojet gazier russe Arctic-LNG2 ont décidé de mettre un terme à leur coopération avec Novatek. Finalement, malgré les assurances de la propagande officielle du Kremlin, UnionPay, l’un des grands processeurs de paiement mondiaux sous contrôle de l’État chinois, a mis sur pause fin avril ses projets de collaboration avec les banques russes, coupant court leur espoir de trouver une alternative aux géants américains de paiement Visa et Mastercard. Ce pas de deux complexe devrait, aux yeux de Pékin, protéger les intérêts chinois et minimiser l’impact de la guerre sur l’économie chinoise comme ce fut déjà le cas lors de la crise ukrainienne de 2014. Pékin a alors proclamé sa neutralité, en espérant qu’une fois l’indignation de l’UE et des États-Unis calmée, les affaires allaient reprendre, et que les considérations économiques allaient prévaloir sur les principes politiques. Or, cette fois-ci, la neutralité de façade de Pékin ne semble plus satisfaire ses partenaires occidentaux qui ont adopté une position inflexible vis-à-vis du support tacite chinois des actions de Moscou. Le dernier sommet Chine-UE, organisé en avril, l’a bien démontré : le souhait chinois de revenir au « business as usual  », en mettant de côté la guerre en Ukraine, a suscité des réactions très négatives en Europe. Les dirigeants européens espéraient que Pékin pourrait jouer un rôle de médiateur dans le confit en mobilisant ses relations spéciales avec Moscou. Toutefois, la Chine a jusqu’à présent refusé ce rôle et il est peu probable qu’elle accepte de changer son actuelle politique de neutralité. Le rapprochement avec la Russie a été promu personnellement par Xi Jinping, qui a rencontré Vladimir Poutine plus d’une trentaine de fois depuis son arrivée au pouvoir et qui a déclaré que l’amitié sino-russe est « solide comme un roc », quelques jours seulement avant l’invasion de l’Ukraine par son « meilleur ami ». Xi Jinping, qui a déjà fait l’objet de critiques au sein du Politburo pour sa gestion des relations avec Washington, ne peut pas admettre qu’il s’est également trompé dans son analyse des perspectives et des dangers du partenariat plus approfondi avec Moscou. Finalement, la Chine est l’un des principaux acheteurs des armements russes, censés rivaliser en qualité avec les armements occidentaux — une perception sérieusement compromise par la débâcle militaire russe en Ukraine. La coopération avec la Russie permet à la Chine d’avoir accès à certains équipements militaires qu’elle ne peut pas acquérir ailleurs à cause de l’embargo sur les armes mis en place par les États-Unis et les pays européens en 1989 après la répression des manifestations de la place Tian’anmen. En même temps, la Chine fournit quelques technologies à double usage à l’industrie de la défense russe. La posture de neutralité que Pékin maintient sur la scène internationale est donc dictée par les différentes considérations géopolitiques, stratégiques et militaires. Cette neutralité semble être autant anti-américaine que pro-russe, y compris dans l’espace médiatique où la guerre en Ukraine sert d’un prétexte pour critiquer la politique de Washington dans la région indopacifique. En traçant les parallèles entre les conséquences de l’élargissement de l’OTAN en Europe et la formalisation du Quad (1) — libellé par Pékin « OTAN asiatique » —, la Chine met en garde les pays occidentaux et leurs alliés dans la région contre « la mentalité de la guerre froide fondée sur la confrontation des blocs » (2).

0
Votre panier