Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

La Méditerranée, un espace crisogène ?

Bien qu’en forte infériorité face à l’OTAN, la marine russe pourrait conduire une attaque directe ou indirecte contre les marines des pays fournissant des armes à l’Ukraine.

Temporairement mise en sommeil en raison de la guerre en Ukraine, l’hypothèse d’une confrontation armée entre la Turquie et la Grèce est une hypothèse de conflit crédible au regard de leur rivalité ancestrale, de leur compétition pour le contrôle des espaces maritimes et aériens en mer Égée et des rivalités liées aux prospections gazières en Méditerranée orientale. Une fuite en avant du président Erdogan face à la dégradation de sa popularité en raison de la détérioration de l’économie turque est également possible. Les hostilités auraient alors une dimension maritime marquée : prise d’îlots en mer Égée, action de vive force à l’encontre de navires de prospection gazière.

À l’autre extrémité de la Méditerranée, plusieurs raisons pourraient provoquer un affrontement armé entre l’Algérie et le Maroc : la rivalité historique entre les deux pays qui se cristallise autour de la question du Sahara occidental ; une possible fuite en avant des généraux algériens en cas d’effondrement du régime provoqué par une profonde crise économique et sociale que la hausse actuelle du prix du pétrole ne fait que retarder.

La déstabilisation interne de l’Égypte, de la Tunisie ou de l’Algérie ne peut être écartée. À proximité immédiate des portes d’entrée de la Méditerranée, une telle situation aurait des conséquences immédiates sur la sécurité maritime.

Citons enfin la possibilité d’hostilités entre Israël et l’Iran à travers le Hezbollah libanais, son bras armé régional, sous la forme d’escarmouches, y compris en mer.

<strong>La Turquie en quête d’espace en Méditerranée ?</strong>

En plus des potentiels affrontements entre États, vous avez mentionné des enjeux énergétiques impactant directement la sécurité maritime en Méditerranée, pouvez-vous les développer ?

La découverte de gisements gaziers offshore au large de Chypre, de l’Égypte et d’Israël a été accueillie par ces pays comme une nouvelle opportunité, mais leur a également fait prendre conscience de leurs besoins en matière de sécurité maritime. Le rendement prometteur de ces gisements — peut-être surestimé — offre l’opportunité aux États riverains, producteurs ou futurs producteurs, d’accéder à l’indépendance énergétique et de renflouer leur économie par le biais d’exportations potentielles.

La prise de conscience provoquée par la guerre en Ukraine sur le besoin de sécurisation des approvisionnements énergétiques et la hausse structurelle des prix du gaz renforcent l’intérêt stratégique de ces gisements dont l’exploitation est disputée, rendant possible une escalade qui constitue une menace majeure pour la sécurité maritime en Méditerranée.

Car les caractéristiques géographiques de la Méditerranée orientale ne permettent pas l’application des délimitations de zones économiques exclusives (ZEE) prévues par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer — également connue sous le nom de Convention de Montego Bay —, qui créerait des zones de chevauchement entre deux États. Dès lors, l’usage est que les États procèdent à cette délimitation dans le cadre d’accords bilatéraux sur le principe de ZEE à équidistance des deux côtes. Or, les négociations entre la Turquie et la Grèce n’ont jamais abouti et la délimitation de leurs frontières maritimes constitue une source de tensions. La Turquie est également en conflit avec Chypre, puisqu’elle revendique le droit à une ZEE pour la République turque de Chypre du Nord (RTCN), bien que celle-ci ne soit pas reconnue par la communauté internationale, et nie le droit de la République de Chypre à posséder une ZEE.

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