Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

La Méditerranée, un espace crisogène ?

L’activisme de la Chine devra effectivement également être suivi avec attention. Elle est encore très peu présente militairement en Méditerranée et ces différentes prises de positions sont pour l’heure exclusivement économiques dans le cadre des nouvelles routes de la soie dans les ports de Suez, du Pirée et en Italie. Il est cependant clair, à l’instar de ce qui a été observé dans l’océan Indien, que sa présence navale dans la prochaine décennie va croître afin d’appuyer sa politique d’expansion.

Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, le contexte était plutôt au désengagement américain de Méditerranée et à une faible présence des marines occidentales. Cette affirmation désinhibée de logique de puissance a sans doute fait prendre conscience aux puissances traditionnelles de l’espace méditerranéen de la nécessité de renforcer leurs capacités navales et d’assurer une présence permanente renforcée dans le bassin oriental de la Méditerranée, et une présence beaucoup plus régulière en mer Noire afin de préserver l’équilibre des rapports de force entre grandes puissances régionales et mondiales.

Justement, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en particulier, la mer Noire est de nouveau au cœur de l’actualité. Pouvez-vous nous préciser les enjeux spécifiques de cette mer adjacente à la Méditerranée ?

La mer Noire représente une priorité stratégique pour la Russie. Elle est vitale pour les économies russe et ukrainienne. Son importance est majeure pour les économies qui dépendent du gaz russe et des exportations de céréales qui y transitent.

La marine russe règne en maître dans cette mer. Depuis l’invasion de la Crimée et la prise du port de Sébastopol en 2014, Vladimir Poutine n’a cessé d’y renforcer sa présence navale. Les petites marines bulgare et roumaine ne présentent pas de réelle menace pour la Russie, même si le naufrage du Moskva nous a montré que la marine russe pouvait être surprise. L’attitude de la Turquie est ambivalente.

<strong>Lutte d’influence autour de la mer Noire</strong>

Après Marioupol, il est à craindre que la prochaine cible de Vladimir Poutine soit Odessa, afin de contrôler toute la côte nord de la mer Noire. L’objectif poursuivi est stratégique, il est aussi économique. En contrôlant toutes les eaux ukrainiennes, c’est le contrôle du trafic maritime en mer Noire qui est recherché, pour obtenir un levier de chantage politique supplémentaire. L’Ukraine et la Russie alimentent en blé de nombreux pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, avec des taux de dépendance très élevés. C’est le cas du Liban, qui dépend à plus de 60 % du blé ukrainien ou de l’Égypte, dont 25 % des approvisionnements proviennent d’Ukraine et 45 % de Russie. L’emprise de la Russie sur la mer Noire et la paralysie actuelle du trafic maritime pourraient donc provoquer une crise alimentaire mondiale et entraîner des mouvements de révolte dans les pays arabes, aux équilibres sociaux toujours fragiles depuis les printemps arabes.

Propos recueillis par Thomas Delage le 25 mai 2022.

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°68, « Géopolitique des mers & des océans : tensions sur les mers du globe », Août-Septembre 2022.

Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, FMES, 2022 (https://​bit​.ly/​3​s​U​P​Nt7).

Diplomatie no 105 « Grèce-Turquie-Libye : tensions autour des ressources énergétiques en Méditerranée orientale », septembre 2020 (https://​bit​.ly/​3​4​d​o​Nsd)

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