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Yémen : la Corne de l’Afrique en première ligne des prédations du Golfe

Depuis mars 2015, le Yémen est le théâtre d’affrontements entre le gouvernement yéménite, appuyé par une coalition régionale, et les Houthis. Générateur d’instabilité, le conflit yéménite a ranimé la connexion entre la péninsule arabique (Golfe) et la Corne de l’Afrique (Corne).

Djibouti, de l’autre côté du détroit de Bab el-Mandeb, à 27 km du Yémen, a su profiter de son positionnement géostratégique. Devenu une terre d’accueil de réfugiés yéménites et un « hub » humanitaire important, le pays abrite, entre autres, la seule base américaine en Afrique (camp Lemonnier) depuis laquelle sont coordonnées les opérations de lutte antiterroriste au Yémen et en Somalie. Le littoral djiboutien pourrait bientôt accueillir une base militaire saoudienne, un poste de surveillance privilégié des manœuvres houthies pour Riyad, engagé depuis sept ans dans le conflit yéménite et régulièrement attaqué par des frappes aériennes houthies.

L’opération « Tempête décisive », lancée le 26 mars 2015 par la coalition arabe (1) et dirigée par Riyad a pour objectif de combattre l’insurrection houthie débutée en 2014, vue comme une guerre par procuration iranienne (proxy). Cette intervention s’inscrit alors dans une conjoncture géopolitique défavorable à Riyad, marquée par les négociations de Vienne sur le nucléaire iranien menées par les Occidentaux avec Téhéran. Le prince saoudien Mohammed ben Salmane craint une normalisation diplomatique de son rival qui conduirait à la levée des sanctions sur le pétrole iranien. Ces nouveaux débouchés pourraient créer la rente nécessaire au soutien de milices dans l’environnement proche de l’Arabie saoudite. Dans un contexte de doute sur l’efficacité des États-Unis à garantir la sécurité du royaume, il apparaît alors vital de sécuriser des alliés sur son flanc ouest (Afrique).

Marquées par des liens anciens, les relations entre le Corne et le Golfe ont pris un tournant stratégique et sécuritaire majeur à partir de 2015. L’engagement de l’Arabie saoudite et de son allié émirati au Yémen ne s’est pas arrêté à ce terrain et a investi la Corne de l’Afrique afin de contrecarrer l’influence de l’Iran, pourtant marginale en comparaison de celle d’autres acteurs (Chine, Russie, États-Unis). Cette satellisation consentante d’États affaiblis, isolés du système international (Érythrée, Soudan), a des effets structuraux sur leurs trajectoires politiques et plus largement sur la géopolitique de la région, qui a regagné un intérêt stratégique majeur ces dix dernières années. Le doublement du canal de Suez en août 2015 à l’extrémité nord de la mer Rouge et l’intégration de tous les États côtiers à la Belt and Road Initiative (BRI) chinoise ont augmenté la connectivité d’un segment central du commerce global, réaffirmant la compétition internationale dans la zone.

Yémen : la percée de l’axe émiro-saoudien dans la Corne

Dès le lancement de l’opération « Tempête décisive », les États de la Corne ont été mobilisés pour prendre part à l’effort de guerre et ouvrir leur littoral comme bases arrière opérationnelles. Les acteurs du Golfe voient ces territoires voisins comme des positions géostratégiques et des réservoirs en denrées et en main d’œuvre. Riyad et Abu Dhabi profitent de l’isolement, de la volatilité politique et de la vulnérabilité économique des États de la Corne pour servir leurs objectifs de guerre et sécuriser leurs positions sur le long terme. La diplomatie bilatérale transactionnelle bat son plein et limite toute attitude coordonnée des acteurs de la Corne. Ces derniers privilégient leurs propres agendas de court terme plutôt qu’une réponse commune aux sollicitations golfiennes.

En Érythrée, pays mis au ban de la communauté internationale depuis la guerre qui l’a opposé à l’Éthiopie (1998-2000), le régime d’Isaias Afeworki est parvenu à survivre grâce au soutien saoudien. Dès le mois d’avril 2015, les Émirats arabes unis (EAU) ont pu installer leurs forces dans le port de la ville d’Assab, base arrière de leurs opérations au Yémen, en échange de la modernisation du port de la même ville et de l’aéroport international d’Asmara, d’une aide financière et d’un approvisionnement pétrolier. Au même moment, Asmara envoyait 400 combattants (2) au Yémen aux côtés de la coalition.

Également très isolé et sous sanction internationale depuis 1997, le Soudan intègre la coalition arabe. Dès 2016, le pays, alors dirigé par le dictateur Omar el-Bechir, fournissait 10 000 combattants (15 000 au pic). Le marasme économique du Soudan, sous embargo, a laissé peu d’options à Khartoum, en quête de soutiens financiers et d’une réhabilitation internationale. Malgré une proximité du régime soudanais à Téhéran, l’Arabie saoudite, principale alliée de Washington au Moyen-Orient, semblait plus à même de négocier la levée des sanctions qui asphyxient le pays.

Une deuxième phase s’est ouverte en 2016 lorsque l’Érythrée, le Soudan, Djibouti et la Somalie ont été récompensés pour la rupture de leurs relations avec l’Iran, en solidarité avec l’Arabie saoudite, suite à l’attaque de son ambassade à Téhéran. Après avoir répondu aux objectifs opérationnels, l’axe émiro-saoudien s’est employé à sécuriser un alignement des pays côtiers de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Cette dynamique s’est poursuivie avec le déclenchement de la crise du Golfe. Le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn ont placé le Qatar sous embargo, accusé de soutenir le terrorisme islamiste et de collusion avec l’Iran. Malgré la déclaration de neutralité de la Somalie, de l’Érythrée, de l’Éthiopie et du Soudan, la compétition entre les axes Riyad-Abu Dhabi et Doha-Ankara a eu des conséquences déstabilisatrices sur la région.

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