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Yémen : la Corne de l’Afrique en première ligne des prédations du Golfe

Entre le Golfe et la Corne, la consécration d’un espace sécuritaire interdépendant

La guerre au Yémen a renforcé le niveau d’alerte autour du détroit de Bab el-Mandeb. La stabilité de ce couloir maritime concerne la majorité des pays industrialisés, en témoigne l’agglutinement des puissances à Djibouti (France, États-Unis, Japon, Italie, Chine) et les velléités d’autres puissances régionales ou internationales à s’installer à proximité. Le récent épisode du porte-conteneurs Evergreen bloqué en travers de l’étroit canal de Suez a rappelé la sensibilité de cette route commerciale. Le détroit de Bab el-Mandeb est un point névralgique pour le commerce des hydrocarbures vers l’Europe, les États-Unis et l’Asie. Son contrôle est un enjeu d’approvisionnement majeur pour Riyad qui a progressivement développé les infrastructures nécessaires à l’exportation de son pétrole depuis la mer Rouge (East-West Pipeline), opérant une sorte de « fuite d’Ormuz » (3), détroit bordé par l’Iran et qui pourrait être bloqué. Les navires militaires et les pétroliers saoudiens sont régulièrement la cible de missiles houthis (4).

La guerre au Yémen, a ainsi amené l’Arabie saoudite et son allié émirati (également visé par des frappes) à multiplier les partenariats sécuritaires avec leurs voisins africains, participant à la militarisation de leurs littoraux.

L’Arabie saoudite a relancé, en janvier 2020, le projet de Conseil de la mer Rouge, recentrant les efforts de coopération sur des aspects essentiellement sécuritaires. Ce forum multilatéral qui regroupe huit États limitrophes (Jordanie, Arabie saoudite, Yémen, Somalie, Djibouti, Érythrée, Soudan et Égypte) a pour objectif d’écarter ses rivaux iranien, turc et qatari, qui, de fait, ne bordent pas la mer Rouge (5).

Également exclus de l’initiative, les EAU sont toutefois hyperactifs sur ces littoraux, avec un goût affirmé pour les « zones grises ». La « petite Sparte » du Moyen-Orient, au cœur du golfe Persique, fait face au géant iranien et conçoit sa sécurité par le contrôle des mers. L’entreprise Dubai Ports World (DP World) est à ce titre devenue un réel outil de géopolitique pour implanter la présence émiratie sur le pourtour du golfe d’Aden et de la mer Rouge.

Au Yémen, les EAU soutiennent principalement le Conseil de transition du sud (CTS) qui contrôle une partie du littoral sud du pays. Depuis 2019, les EAU ont retiré leurs forces, estimant parvenir à sécuriser des positionnements stratégiques portuaires et militaires nécessaires (îles de Mayun et Socotra, contrôle des ports de Balhaf, d’Aden, de Zinjibar et de Mukalla). Si son activisme militaire s’essouffle depuis son désengagement du Yémen, son « collier de perles » (6) se poursuit dans le secteur portuaire. En Érythrée, malgré le retrait des forces d’Assab, le port serait toujours aux mains de DP World. Les EAU sont aussi installés au Somaliland (Berbera) et au Puntland (Bosaso).

Reconfigurations (géo)politiques de la Corne de l’Afrique

Les intérêts sécuritaires saoudiens et émiriens ont amené Riyad et Abu Dhabi à s’intéresser aux affaires politiques des États de la Corne. Leurs implications « déforment les règles du jeu » (7), dans une région qui traverse une période de forte décompression (8). La réconciliation entre l’Érythrée et l’Éthiopie en 2018, orchestrée en partie par les deux alliés du Golfe, avait pour objectif de redorer l’image de l’Arabie saoudite et des EAU, belligérants au Yémen, mais a aussi permis de déverrouiller d’importantes opportunités économiques. Les développements des ports d’Assab et de Berbera opérés par DP World pourraient permettre le désenclavement de l’Éthiopie, le géant économique de la région. Ces nouvelles options déclassent de fait le petit État de Djibouti (9), brouillé avec les EAU depuis 2014, par lequel transite actuellement le commerce éthiopien.

Au Soudan, au lendemain de l’éviction de l’islamiste Omar el-Bechir en avril 2019, proche de Doha et Ankara, les EAU et l’Arabie saoudite ont repris l’ascendant sur leurs rivaux du Moyen-Orient, en promettant un soutien de trois milliards de dollars au Conseil militaire de transition, limitant de fait les capacités de la branche civile. Malgré des manifestations populaires hebdomadaires, Riyad et Abu Dhabi épaulent le pouvoir militaire embourbé depuis le coup d’État du 25 octobre 2021, qui a mis fin à deux ans de transition politique.

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