Sanctions légitimes et hubris anti-iranien
Ces succès accompagnés d’un discours politique résolument agressif de la part de Téhéran ont suscité une hostilité bien compréhensible de la part des États-Unis et de leurs alliés. Depuis la prise en otage des diplomates américains en 1979 (3), des sanctions politiques et économiques très strictes et l’endiguement multiforme imposé par Washington et ses alliés ont bloqué le développement économique du pays, appauvri les Iraniens et marginalisé la République islamique, alors que les monarchies pétrolières voisines connaissaient une expansion insolente.
De façon paradoxale, cette politique, accompagnée d’un discours parfois irrationnel et d’une médiatisation rarement égalée contre l’Iran, présenté comme l’ennemi absolu, a renforcé le gouvernement islamique, qui pouvait aisément associer le martyrisme chiite au consensus nationaliste de résistance aux ennemis extérieurs. On ne prête qu’aux riches, mais en faisant de l’Iran un pays terroriste de « l’axe du mal », on a probablement surévalué, ou mal analysé la « menace » iranienne et permis à la République islamique de se placer en victime d’une « injustice » en soulignant qu’elle n’était pas responsable des attentats du 11 septembre 2001, ni de ceux de Paris en 2015, ni de la création d’Al-Qaïda et de Daech, ni plus tard de la rupture du JCPOA négocié après tant de difficultés.
Négocier par nécessité et non par choix
Depuis sa fondation, la République islamique est restée figée, paralysée et marginalisée dans cette double stratégie défensive et de puissance, sans jamais proposer une politique pro-active, une ambition nationale légitime répondant aux demandes de la population et aux idéaux d’indépendance et de liberté qui avaient fondé la révolution de 1979. Les décisions importantes comme le cessez-le-feu avec l’Irak en 1988 ou les négociations avec les États-Unis en 2013 n’ont pas été prises par choix, mais à contre-cœur, sous la contrainte, pour limiter un échec, sans vraie perspective.
Après des décennies de résistance, l’Iran n’a pas « libéré Jérusalem » ni les « peuples opprimés » du Moyen-Orient, ni exploité ses immenses réserves de gaz, ni fait de Téhéran une métropole internationale. Quand en 2003, la menace militaire américaine est à ses portes en Irak, le Guide Ali Khamenei n’avait pas d’autre choix que de négocier avec les Européens un premier accord sur le nucléaire et plus tard en 2013, d’ouvrir des négociations avec les États-Unis qui ont abouti au JCPOA. Barack Obama a tranché le nœud gordien en tendant la main à l’Iran malgré l’opposition d’Israël, des monarchies pétrolières et au grand dam des factions iraniennes conservatrices, qui ont malgré tout obtenu du Guide l’autorisation de continuer de crier « Mort à l’Amérique ! ».
Pendant trois ans, l’Iran est devenu un nouvel eldorado économique où tout semblait possible, même la perspective d’un changement de politique sans révolution, avant qu’en 2018 le retrait américain ne brise l’euphorie, sans pour autant bloquer la dynamique d’ouverture devenue irrévocable. Malgré mille contraintes, et après quelques vaines tentatives européennes et françaises, la nouvelle administration démocrate de Joe Biden et le modéré Hassan Rohani puis le conservateur Ebrahim Raïssi ont repris les négociations en 2021 pour restaurer le JCPOA en vue de rationnaliser peu à peu, au-delà de la question centrale du programme nucléaire, les relations entre l’Iran et la communauté internationale.
Retour sur la région, ouverture vers l’Asie et l’Europe ?
Il est clair que l’Iran n’abandonnera jamais ses positions acquises au Liban ou en Syrie, mais, à l’évidence, il cherche à les faire évoluer pour mieux durer. Le communiqué officiel de la visite à Téhéran du président syrien Bachar el-Assad en juin 2022 cite longuement les projets de reconstruction et d’investissement, mais chacun aura compris qu’il s’agissait aussi de remplacer les forces russes déplacées de Syrie vers l’Ukraine. L’Iran actuel a-t-il pour autant besoin des multiples interventions extérieures, quand ses frontières sont directement menacées ? E. Raïssi a confirmé la nouvelle priorité à la région immédiate, en montrant une grande fermeté dans la défense des frontières lors de divers incidents avec l’Irak, la Turquie, l’Azerbaïdjan ou l’Afghanistan, qui sont devenus les principaux partenaires commerciaux de l’Iran. La sécurité dans le golfe Persique et la normalisation des relations avec l’Arabie saoudite puis les Émirats devient une priorité, surtout après les succès diplomatiques d’Israël dans la région.