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L’Allemagne face à l’inconnue française

Alors que nos voisins d’outre-Rhin ont fait de leur poids économique et industriel leur principal outil d’influence en France, il semble que jamais l’Allemagne n’a eu autant de difficultés à exercer une quelconque influence sur son voisin et partenaire.

Les élections législatives françaises des 12 et 19 juin 2022 viennent d’ajouter un nouveau sujet de perplexité aux interrogations que ne cessent de se poser les Allemands vis-à-vis de la France depuis au moins deux décennies. La presse allemande est traversée de comparaisons peu flatteuses à notre encontre, nous comparant d’une certaine manière au nouvel homme malade de l’Europe, pour reprendre l’expression utilisée à l’égard de l’empire ottoman au XIXe siècle. Deux quotidiens et un magazine parmi les plus influents outre-Rhin décrivent ainsi une France en proie aux dérives politiques. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung parle d’un vote « sanction » contre le « style » d’Emmanuel Macron « qui a souvent bafoué le Parlement. […] Il prenait des décisions, seul, aux côtés d’un petit cercle de fidèles. Il n’a pas tenu sa promesse électorale de renforcer l’Assemblée nationale. Ce style de leadership a été puni… les résultats de ce scrutin appellent à un renouveau très attendu de la tradition parlementaire française » (2). Die Welt, autre quotidien, dresse une analogie entre les résultats des élections législatives et l’histoire monarchique française : « Les électeurs français sont connus pour se choisir des rois afin de mieux les renverser : dimanche, ils ont accompli l’exploit de tirer le trône sous les fesses du nouveau roi. » Emmanuel Macron « est déjà mûr pour les oubliettes de l’histoire après cinq ans d’exercice du pouvoir » (3). Le magazine Stern évoque pour sa part, « après la défaite électorale de Macron », une « France confrontée à une tâche herculéenne » (4) ; au pied du mur, pour reprendre une expression courante de la presse allemande.

Dans un tel contexte, il est clair qu’il est difficile pour l’Allemagne de développer une stratégie lui permettant de peser et d’avoir une quelconque influence sur l’évolution de notre pays, d’autant que les Allemands ont des difficultés croissantes à comprendre la France, et inversement. De fait, l’Allemagne ne semble pas disposer d’outils adaptés pour véritablement peser sur les évolutions de la société française et a clairement sous-estimé les rancœurs accumulées durant la présidence de la chancelière Angela Merkel : énergie avec la signature de contrats gaziers avec la Russie au détriment de toute politique européenne de l’énergie ; abandon unilatéral du nucléaire civil par l’Allemagne en 2011 sans aucune concertation avec la France ; transport avec le mariage avorté de Siemens et de la branche ferroviaire d’Alstom en 2019 ; défense avec l’échec croissant des coopérations d’armement franco-allemandes ; relation de l’Allemagne avec la Russie avec le sentiment vu de Paris d’une fragilisation du couple franco-allemand ; refus par l’Allemagne d’envisager des mesures de protection des entreprises européennes face à des puissances tierces pour protéger les intérêts commerciaux allemands ; attitude à l’égard des « pays du Club Med » après la crise financière de 2008 ; spatial avec la querelle sur les lanceurs et les satellites au sein de l’ESA ; luttes de pouvoir entre Français et Allemands au sein du groupe Airbus, etc. L’Allemagne se réveille aujourd’hui avec une véritable gueule de bois, réalisant que son premier partenaire européen était plus loin d’elle que jamais.

Vu de Berlin, un couple franco-allemand en panne ?

Depuis la signature du traité de l’Élysée le 22 janvier 1963, la diplomatie allemande est supposée faire de la France une priorité stratégique, alors que la politique étrangère de notre voisin reste invariablement marquée par une relation étroite et privilégiée avec son autre grand partenaire — les États-Unis — et par un tropisme géographique et historique parfaitement compréhensible pour l’Europe centrale et la Russie (5). De fait, le ministère allemand des Affaires étrangères présente sur son site internet les grands principes et fondamentaux de la diplomatie allemande mais pas une fois n’apparaît le mot France (6) ; et il ne s’agit pas là d’une erreur ou d’un oubli : « La politique étrangère du gouvernement fédéral repose sur un certain nombre de constantes et de principes fondamentaux, à savoir l’Europe, le partenariat transatlantique, la mobilisation mondiale en faveur de la paix et de la sécurité, la promotion de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme ainsi que l’engagement pour une mondialisation juste et durable et un ordre international basé sur des règles. »

En réalité, en France, la diplomatie allemande a surtout concentré de manière pragmatique ses efforts sur trois axes : l’apprentissage de la langue allemande au travers des réseaux des Instituts Goethe ; la multiplication des jumelages et partenariats entre collectivités locales des deux pays du fait du poids très spécifique des Länder et des villes dans l’organisation administrative et politique allemande ; la présence économique et industrielle des entreprises allemandes dans les territoires.

Or, après cinq décennies de cette politique pragmatique, il faut bien constater que le poids de l’Allemagne en France reste très relatif et son influence plus limitée que jamais. Jamais la connaissance de la langue allemande n’a été aussi faible en France ; elle est même alarmante ! La proportion d’élèves apprenant l’allemand ne cesse de diminuer : 3,7 % en primaire, 15,9 % en classe de cinquième et un chiffre global de 15,1 % dans le second degré à la rentrée 2020 (22,9 % en 1995). L’Institut Goethe fait évidemment le même constat dans les chiffres qu’il présente sur son site internet (7).

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