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Retour à la haute intensité des armées françaises. Les conséquences de la guerre en Ukraine

Le conflit ukrainien est venu incarner un conflit de haute intensité tel que beaucoup d’observateurs l’envisageaient depuis plusieurs années, contraignant à un regard interrogateur vis-à‑vis des capacités occidentales à faire face à un défi similaire. Les volumes de pertes humaines et de munitions échangées comme l’attrition des systèmes d’armes et des dispositifs militaires atteignent des niveaux jamais vus depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que les forces européennes peinent à amorcer une remise à niveau souvent trop déclaratoire.

Tandis que la lutte entre Kiev et Moscou remet au centre de l’attention la réalité d’un tel conflit, un certain nombre de conséquences se dessinent déjà pour les forces occidentales si elles devaient préparer, mener et endurer un affrontement de haute intensité. L’analyse de ces conséquences est particulièrement difficile à réaliser tant que le conflit se poursuit, et des limites doivent être établies. Désorganisation des forces russes, différences dans la conception et la qualité des véhicules et des équipements, manque de coopération interarmes incarnent ces limites, tandis que la probabilité pour la France de subir une invasion à grande échelle de son territoire reste mince. Il est ainsi difficile d’envisager dès à présent des conséquences pour la pratique tactique française en haute intensité. En revanche, des aspects industriels, organisationnels et capacitaires se distinguent déjà, mettant en lumière des vulnérabilités potentiellement rédhibitoires.

L’enjeu de la préparation

Beaucoup de retours d’expérience du conflit ukrainien soulignent les faiblesses françaises dans la préparation très en amont d’un conflit de haute intensité. Si elles ne concernent que partiellement les forces elles-­mêmes, ces faiblesses peuvent être considérées comme décisives face à une situation d’attrition intense. D’après Kiev, l’artillerie ukrainienne consomme quotidiennement plus de 5 000 obus, soit une consommation hebdomadaire équivalant au double de celle de la batterie de canons CAESAR utilisés en Irak en un an et demi. Une telle consommation en conflit de haute intensité nécessite la mise en place d’une production industrielle capable de soutenir un effort militaire prolongé, en l’absence de stocks. Les déclarations présidentielles récentes, couplées au projet de la DGA concernant un dispositif de réquisition de personnel formé et de machines spécialisées, témoignent d’une prise de conscience notable des vulnérabilités industrielles occidentales face aux contraintes de la haute intensité. Préparé à l’avance, un tel dispositif permettrait, en cas d’urgence, d’accroître rapidement les capacités de production sans faire peser de poids trop important sur les industries en temps de paix.

La consommation très rapide de munitions sophistiquées comme les Javelin (jusqu’à 500 par jour) et la relative faiblesse de la production (2 100 annuellement) remettent également en question certains segments de l’équilibre du « high-low mix » des armées. Les excellentes performances des Javelin les rendent indispensables et justifient leur coût élevé. Pour autant, la diversité des cibles adverses, du simple blindé d’infanterie au char de combat, laisse supposer que la plupart des cibles légèrement blindées pourraient être traitées par un système plus basique et plus facile à produire, réservant les Javelins aux MBT avancés. Le MMP paie sa polyvalence par un coût élevé et une grande complexité, empêchant les forces françaises d’en acquérir une quantité suffisante pour envisager la haute intensité ou même de disposer de stocks viables. Un tel système, combiné avec un second moins sophistiqué, permettrait de redonner de l’épaisseur à la défense contre les blindés.

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