Magazine Diplomatie

Asie-Pacifique : le Pacifique sort-il de l’ombre asiatique ?

Aujourd’hui, les activités principales ont trait à la pêche, au tourisme ou aux mines comme par exemple en Nouvelle-Calédonie (nickel) ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée où celles à ciel ouvert sont parmi les plus grandes au monde (argent, cuivre, or). Il arrive parfois que des États au bord de la faillite — à la suite de la fermeture de mines — doivent trouver des solutions. C’est ainsi que Nauru accueille un centre de détention australien pour immigrés clandestins de même que des banques fantômes qui font de l’île un paradis fiscal. Bientôt, les câbles sous-marins pourraient devenir un nouvel enjeu. Ils permettent à des îles de mieux se désenclaver, comme Wallis-et-Futuna, tandis que Nouméa se rêve en hub numérique du Pacifique Sud (3). De façon générale, l’épicentre économique et commercial penche nettement vers l’ouest. Sans surprise, parmi les 20 plus importants ports au monde (en volume de containers en 2020), on en comptait 13 sur la façade ouest du Pacifique (Chine, Corée du Sud, ASEAN) contre seulement 2 sur la façade orientale, concentrés à Los Angeles (4).

Enfin, l’atout diplomatique de cette région est de taille : bien que les micro-États de l’Océanie ne représentent que 1 % de la population mondiale, ils totalisent 6,7 % des votes à l’ONU.

L’océan Pacifique s’inscrit donc de plus en plus au cœur de la mondialisation pour le meilleur mais aussi pour le pire. Preuve de sa connexion directe à l’économie mondialisée, son environnement est directement impacté. En témoignent les deux vortex ou gyres de déchets qui se forment en collectant le plastique à cause des courants. L’île d’Henderson, qui se situe sur le gyre du Pacifique Sud, détient par exemple le record du monde des plages les plus polluées par le plastique avec une densité moyenne d’environ 240 morceaux par mètre carré (5).

Plus directement, ces pays doivent faire face à des ingérences étrangères, elles aussi dangereuses pour la protection des écosystèmes. La pêche INN (illégale, non déclarée et non réglementée) constitue le premier défi. Des flottilles de pêcheurs chinois illégaux ont ainsi été repérées jusqu’au large du Chili.

Aux considérations écologiques peuvent enfin s’ajouter des inquiétudes autour de la souveraineté et du contrôle des ressources, notamment à terre et dans les mines. Celles de la PNG se vendent par exemple aussi bien à la Chine qu’à Taïwan. Quant aux câbles susmentionnés, ils doivent demeurer sous surveillance : la Nouvelle-Calédonie dépend par exemple de l’Australie tandis que les connexions entre Paris et Tahiti passent par Hawaï. En décembre dernier, les États-Unis ont empêché la Chine de faire main basse sur les câbles de Micronésie. Mais toutes ces intrusions ne datent pas d’aujourd’hui…

Le Pacifique convoité

Longtemps ignoré, même après la traversée de Magellan en 1520, qui le jugea étonnamment calme (d’où son nom : « Pacifique »), l’océan Pacifique n’est devenu que tardivement un objet d’expéditions au long cours. Il a fallu attendre que les guerres soient achevées pour que des bâtiments soient enfin mis à la disposition des explorateurs-scientifiques (Bougainville, Cook et Lapérouse, tous trois au XVIIIe siècle). Plus tard, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’océan présenta un intérêt pour les armées… ainsi que pour les missionnaires (comme les Maristes).

Et si le Pacifique avait été la dernière étape du Far West, avec comme points d’orgue la victoire contre les Philippines et la prise de Guam ou encore d’Hawaï en 1898 ? Depuis, les États-Unis peuvent compter sur des moyens et des bases militaires, sur un réseau d’États et de territoires reliés sous divers statuts à Washington ainsi que sur des forces dédiées, du Pakistan jusqu’à l’Antarctique (INDOPACOM). La France aussi peut s’appuyer sur sa présence militaire et évidemment sur ses territoires disposant de statuts divers et négociés.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont commencé à gagner en autonomie avec leur statut de dominion en 1901 et 1907. Leur priorité consiste aujourd’hui à relancer la dynamique régionale autour de leurs programmes respectifs de « Pacific step-up » et de « Pacific reset ». À cette fin, l’Australie se montre bien plus active que Wellington sur le plan militaire. Au niveau diplomatique, et avec le risque de perceptions néocolonialistes, l’Australie a toujours cherché à nouer des liens avec les pays voisins — au détriment parfois de sa façade vers l’océan Indien. Elle est souvent intervenue dans la région, notamment au titre d’accords bilatéraux, comme en novembre dernier aux îles Salomon, après les émeutes urbaines. Elle dispose aussi de liens forts avec la PNG, où elle va par exemple contribuer aux travaux sur la base navale de Manus, que beaucoup croyaient visée par la Chine. Souvent qualifiée d’« adjoint » du « shérif » américain, Canberra soigne son lien avec les puissances occidentales (ANZUS ou Australie, États-Unis, Nouvelle-Zélande ; FPDA ou Five power defence arrangements avec la Malaisie, Singapour, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ; FRANZ avec la France et la Nouvelle-Zélande). Dans ce contexte, sa relation avec la Chine a récemment posé question : bien que partenaire commercial de premier ordre (notamment pour les mines), Pékin s’est fait remarquer pour ses intrusions ou influences jusque dans les universités ou dans le personnel politique. Le gouvernement populiste de Scott Morrison a tranché en 2021 en optant pour le partenariat AUKUS (Australie, Royaume-Uni, États-Unis) afin de limiter le « grignotage chinois », selon l’expression souvent retenue. Peu à peu, Pékin s’active aussi, sans savoir s’il s’agit de visées impérialistes pour une « autre » mondialisation, militaires avec l’établissement de bases ou de facilités navales, commerciales par le biais d’entreprises plus ou moins autonomes, ou seulement diplomatiques pour gagner des voix à l’ONU. Enfin, un dernier et nouveau cercle d’États tentent d’investir ce nouveau front géopolitique. C’est ainsi l’heure des grandes manœuvres autour des « Pacific bonds  » japonais. Tokyo ouvre des consulats, comme récemment à Nouméa. Plus discret est son projet d’utilisation du Pacifique pour y déverser l’eau contaminée des centrales nucléaires japonaises. Depuis un discours du Premier ministre Narendra Modi fin 2019, l’Inde axe quant à elle sa stratégie indopacifique sur le volet maritime. Après sa « Look east policy  », New Delhi a voulu franchir un palier en développant depuis 2014 son «  Act east policy ». Il est vrai que des forages pétroliers sont exploités par des Indiens dans les eaux vietnamiennes de la mer de Chine du Sud. De plus, des navires de guerre indiens s’invitent dans les ports d’Asie du Sud-Est, avec l’idée (non concrétisée) de facilités navales à Sabong, sur Sumatra. Le Royaume-Uni tente lui aussi de promouvoir une stratégie vers le Pacifique, en particulier depuis le Brexit et le recours au Commonwealth. Londres s’est par exemple appuyé sur la redécouverte de sa petite île de Pitcairn afin de frapper à la porte du RCEP (un accord de libre-échange qui lie les États de l’Asie orientale) (6).

<strong>Les organisations régionales</strong>
0
Votre panier