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La Garde nationale de Russie [Rosgvardia] : dernier rempart de Vladimir Poutine

• Les SOBR (Spetsial’nye otryady bystrogo reagirovaniya) ou Unités spéciales de réaction rapide (environ 12 000 hommes) sont organisées en 91 détachements, similaires aux BRI françaises et chargées de lutter contre le crime organisé et le terrorisme. La première unité a été créée, sous le nom d’Otryad militsii spetsial’nogo naznacheniya (OMSN) au sein de la Milice de Moscou en 1978 en prévision des Jeux olympiques de 1980 (9). Elles ont été généralisées à l’ensemble du territoire et baptisées SOBR à partir de février 1992. Rebaptisées OMSN de 2002 à 2011, elles retrouveront le nom de SOBR le 30 novembre 2011. Elles dépendaient de la direction principale de lutte contre le crime organisé du MVD jusqu’à leur rattachement à la garde nationale en 2016. Contrairement à ce qui a pu être écrit par ailleurs (10), les SOBR et les OSN sont bien distinctes et suivent une filiation différente (Milice pour les SOBR, Troupes intérieures pour les OSN).

• Les OMON (Otriad mobilny ossobogo naznacheniya) ou Détachements mobiles à vocation particulière (environ 40 000 hommes en 2016) sont des unités de police anti-­émeute, également capables de réaliser des missions de lutte anti-­insurrectionnelle, organisées en environ 160 détachements répartis sur l’ensemble du territoire russe. Ils se distinguent par le port du béret noir et leur tenue de camouflage bleu-gris dit « Noch ». Les Détachements de milice à vocation particulière (OMON : Otriad militsii ossobogo naznacheniya) sont créés le 3 octobre 1988. Ils dépendent des différentes directions locales de la police russe jusqu’à leur rattachement à la garde nationale en 2016. Les OMON ont absorbé à partir de 2017 une grande partie des unités spéciales motorisées (SM : Spetsial’naya motorizovannaya), qui ont été mises en extinction (11).

• Les VOG (Voiska okhrany goroda) ou Unités de garde (environ 40 000 hommes) sont chargées de la garde des installations sensibles.

Un dernier rempart, vraiment ?

La Garde nationale n’est cependant pas seule institution chargée de protéger le régime politique russe. Le locataire du Kremlin préfère miser sur la pluralité des « structures de force » (12) du système de sécurité russe :

• le FSB (environ 350 000 hommes en 2019, dont 150 000 garde-frontières et 4 000 membres des forces spéciales), pour le contre-espionnage et la sécurité intérieure au sens large (protection des frontières, lutte contre le terrorisme et neutralisation de l’opposition intérieure) ;

• la Rosgvardia (environ 450 000 hommes en 2021), pour la contre-insurrection, le maintien de l’ordre et la protection des installations sensibles ;

• le FSO (environ 50 000 hommes en 2019), pour la protection des personnalités et des lieux de pouvoir ;

• le MVD (environ 900 000 hommes en 2019), pour la police quotidienne.

Dans les faits, la Rosgvardia semble être simultanément une réponse à l’hybridité des menaces des « révolutions de couleur », un élément dans l’équilibre des « structures de force » du système de sécurité russe et un outil supplémentaire dans la main du président russe (en raison de sa chaîne hiérarchique courte) pour agir rapidement dans l’« étranger proche ».

Ces dernières années, des unités de la Rosgvardia ont été déployées au sein du contingent russe en Syrie (13) et au Donbass. Enfin, la Rosgvardia modernise continuellement ses équipements et multiplie les exercices tant internes qu’interarmées (14) afin d’améliorer le caractère opérationnel de ses Opnaz et Spetsnaz, ainsi que leur interopérabilité avec les forces armées russes dans des scénarios variant de la répression d’une insurrection intérieure à la défense du territoire national, en passant par la sécurisation des arrières des armées russes (en coopération avec le FSB) et les interventions antiterroristes sur des sites sensibles (15). Du 12 au 30 juillet 2021, elle a mené l’exercice opératif-stratégique « Zaslon 2021 » dans tout l’ouest de la Russie (16) et des unités de la Rosgvardia ont participé à l’exercice interarmées « Zapad 2021 ». Depuis les débuts de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, la présence d’unités de la Rosgvardia accompagnant les forces armées russes a été signalée : Spetsnaz, Opnaz, OMON et SOBR.

Souvent comparée avec la Gendarmerie nationale française, la Rosgvardia n’en a pas le maillage territorial ni les missions de sécurité de proximité. Son histoire montre qu’elle constitue un modèle de force de sécurité propre au contexte russo-­soviétique. Toutefois, elle représente une force de sécurité extrêmement utile au pouvoir russe, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, dont l’évolution dans les années à venir reste à suivre.

Notes

(1) Gaston Erlom, Au Goulag ! La police politique et les camps sous Lénine et Staline, Histoire & Collections, septembre 2018, p. 36-37.

(2) Mark Galeotti, « Russia’s Interior Troops on the rise », Jane’s Intelligence Review, juin 1997, p. 243-246.

(3) Stéphane Audrand, « De Byzance à Poutine – Éléments de réflexions sur la grande stratégie russe et son incompréhension en Occident », Theatrum Belli, 17 décembre 2019 (https://​theatrum​-belli​.com/​d​e​-​b​y​z​a​n​c​e​-​a​-​p​o​u​t​i​n​e​-​e​l​e​m​e​n​t​s​-​d​e​-​r​e​f​l​e​x​i​o​n​s​-​s​u​r​-​l​a​-​g​r​a​n​d​e​-​s​t​r​a​t​e​g​i​e​-​r​u​s​s​e​-​e​t​-​s​o​n​-​i​n​c​o​m​p​r​e​h​e​n​s​i​o​n​-​e​n​-​o​c​c​i​d​e​nt/).Mitchell Binding, « Que sont les “techniques des révolutions de couleur” et pourquoi occupent-elles une place aussi prépondérante dans la façon dont la Russie perçoit la menace ? », Revue Militaire Canadienne, vol. 19, no 4, automne 2019, p. 54-59.

(4) Victor Vasilievich Zolotov est né le 27 janvier 1954 à Leningrad. Officier de la 9e direction principale du KGB, il fait la connaissance de Vladimir Poutine alors qu’il est le garde du corps du maire de Saint-Pétersbourg, Anatoly Soptchak. C’est un partenaire de judo et de boxe de Vladimir Poutine. Il est le chef du Service de sécurité présidentielle et garde du corps de Poutine de 2000 à 2013, puis chef des Troupes de l’Intérieur du MVD de 2013 à 2016.

(5) Article 2 de la loi no 226 FZ du 3 juillet 2016 sur les troupes de la Garde nationale de Russie.

(6) Zdzislaw Sliwa, « The Russian National Guard : a warning or a message ? », National Defense Academy of Latvia, Center for Security and Strategic Research, Working Paper no 01/18, février 2018, p. 20.

(7) Pour plus de détails, voir notamment : Mark Galeotti, « Iron Fist », Jane’s Intelligence Review, août 2017, p. 36-41 ; Mark Galeotti, Russian Security and Paramilitary Forces since 1991, Osprey Publishing, Elite 197, 2013.

(8) Dans la terminologie russe un « Otryad » ou détachement est une unité qui n’implique pas une taille ou une organisation fixe, dont la taille peut varier d’un peloton de 30 hommes à celui d’un bataillon de 500 hommes.

(9) N. Bandini, « Le groupe “LYNX” l’élite des forces spéciales russes, reportage spécial en exclusivité », Opérations spéciales, no 2, juin-juillet 2013, p. 66-73.

(10) Jean-Pierre Husson, « Les Spetsnaz de la Rosgvardia », Raids, hors-série no 79, juillet-août-septembre 2021, p. 24-39.

(11) « Rosgvardia replace “mentality” Riot police », Weapons news, 22 novembre 2017 (https://​weaponews​.com/​n​e​w​s​/​1​8​7​6​4​-​r​e​g​a​r​d​i​e​-​r​e​p​l​a​c​e​-​m​e​n​t​a​l​i​t​y​-​r​i​o​t​-​p​o​l​i​c​e​.​h​tml).

(12) Cyrille Gloaguen, « Forces armées et politique : une longue passion russe », Hérodote, no 116, 2005/1, p. 111-137.

(13) Agence TASS, « About 10 thousand combat missions have been performed by Rosgvardiya employees in Syria since 2018 », 24 mars 2021.

(14) Alexander Goltz, « The Enemy Within Is Everywhere », The New Times, 5 juin 2017.

(15) Zdzislaw Sliwa, « The Russian National Guard : a warning or a message ? », art. cité, p. 22-24 et 31.

(16) Catherine Hodgson, Will Baumgardner et Mason Clark, « Russian National Guard (Rosgvardia) demonstrates new capabilities in first-ever strategic exercise », Institute for the Study of War, 17 août 2021, 12 p.

Légende de la photo en première page : Exercice antiterroriste en 2017. (© Maksim Gulyachik/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI n°159, « Ukraine : bataille dans le ciel », Mai-Juin 2022.
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