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Le partenariat russo-iranien à l’épreuve du conflit en Ukraine

Si l’objectif de Téhéran est bien de construire une alliance stratégique avec Moscou, la guerre en Ukraine et les négociations d’un nouvel accord avec Washington placent l’Iran et la Russie à une nouvelle étape dans leur relation avec l’Occident.

L’arrivée de l’administration Biden a permis de relancer les discussions au sujet d’un hypothétique accord sur le nucléaire iranien — en remplacement du JCPoA, dénoncé par Donald Trump (1) — dont la résurrection permettrait une levée progressive des sanctions qui pèsent depuis des années sur Téhéran. De son côté, Moscou a franchi le point de non-retour avec les Occidentaux en lançant son « opération militaire spéciale » en Ukraine le 24 février dernier. Le conflit en Ukraine va avoir des conséquences majeures pour la relation russo-iranienne, qu’il est susceptible d’affecter aux niveaux bilatéral, régional et global.

Moscou – Téhéran : un partenariat asymétrique

La relation russo-iranienne est caractérisée par son profond déséquilibre entre, d’un côté, une Russie puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, ayant eu dans son histoire des ambitions hégémoniques qui s’affirmaient notamment sur une partie du territoire iranien, et de l’autre, l’Iran, puissance régionale placée sous sanctions depuis une quarantaine d’années en raison de la nature de son régime et de ses ambitions nucléaires. Ce déséquilibre, ainsi que les divergences qui peuvent exister entre Russes et Iraniens (leur histoire, la mer Caspienne…), sont cependant minimisés par un puissant facteur idéologique qui s’exprime contre les États-Unis et rapproche les deux pays. Dans ce contexte, Moscou et Pékin représentent pour la République islamique deux partenaires indispensables, le premier pour son soutien politico-sécuritaire, et le second pour le partenaire économique vital qu’il constitue.

Les huit années de la présidence d’Hassan Rohani (2013-2021) ont été marquées par un rapprochement entre Moscou et Téhéran rendu possible par leur coopération militaire en Syrie. Le nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, devrait poursuivre et amplifier cette dynamique en mettant l’accent sur la dimension militaro-sécuritaire de son partenariat avec Moscou, un vecteur fondamental dans les liens entre les deux pays, et qui est susceptible de résonner jusqu’au niveau régional de leur relation. La coopération économique avec Moscou ainsi qu’avec l’Union économique eurasiatique devrait également faire partie des priorités du président Raïssi (2). Aussi, lorsqu’il se rend à Moscou les 19 et 20 janvier 2022 pour la première fois en tant que chef d’État, Ebrahim Raïssi remet à Vladimir Poutine une ébauche de document stratégique qui doit fournir le cadre aux relations entre les deux pays pour les 20 prochaines années. Ce texte a ainsi vocation à remplacer le document existant signé en 2001, et qui arrive à expiration (3). À ce jour, la Russie n’a pas encore donné de réponse à la proposition iranienne, mais les échanges à ce sujet se poursuivent bel et bien.

De fait, il existe une compréhension partagée que la réalité du partenariat économique ne reflète pas le potentiel de la relation : en 2020, le commerce bilatéral affichait une somme cumulée de 2,2 milliards de dollars, ce qui faisait de l’Iran le 46e partenaire économique de Moscou avec une part de 0,4 % dans le commerce extérieur de la Russie (4). Aussi, l’objectif de 10 milliards de dollars visé par Moscou et Téhéran pour leurs échanges économiques depuis des années et encore réaffirmé lors de la dernière visite de Raïssi au Kremlin semble, à ce stade, hors de portée. Par comparaison, Moscou a doublé son commerce bilatéral avec les Émirats arabes unis entre 2018 (1,6 milliard de dollars) et 2020 (3,2 milliards de dollars), tandis que le volume des échanges entre la Russie et les pays du Conseil de coopération du Golfe (5) était multiplié par 4 entre 2010 (1,5 milliard de dollars) et 2020 (un peu plus de 6 milliards de dollars) (6). Le fait que les banques iraniennes soient déconnectées du système SWIFT et que la République islamique soit sur la liste noire du Groupe d’action financière complique les échanges économiques russo-iraniens et dissuade les acteurs économiques russes non sanctionnés de s’aventurer sur le marché iranien. En 2020, la Société publique russe des chemins de fers RZD s’est ainsi retirée d’Iran (7). Le décalage entre le discours politique et la réalité économique des échanges demeure une réalité de la relation commerciale russo-iranienne.

Enfin, sur le volet militaro-technique, on sait que Téhéran souhaiterait réaliser des achats d’avions de combat russes (Su-35) et probablement de systèmes de missiles antiaériens (S-400). Cependant, les moyens financiers limités de la République islamique, d’une part, et l’attention traditionnellement portée par Moscou à ne pas affecter l’équilibre des forces au Moyen-Orient de manière substantielle à travers ses ventes d’armements, d’autre part, ainsi que le contexte de renégociation du JCPOA, freinent la signature d’un hypothétique contrat. Le conflit en Ukraine pourrait toutefois faire pencher à terme la balance en faveur des attentes iraniennes.

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