Un développement mondial
Du reste, les États-Unis ne sont pas seuls en lice. La Turquie poursuit ses travaux sur une large gamme de systèmes robotisés et a présenté cette année le Shadow Rider FoV. Basiquement, il s’agit de la version téléopérée d’un M‑113 modernisé et doté d’une tourelle abritant un canon de 25 mm contrôlé à distance via des radios tactiques ou encore une liaison 5G. Ce système est le dernier en date de cette famille présentée comme modulaire et pouvant être déclinée en plusieurs variantes. Pratiquement, FNSS s’est concentré sur les automatismes du véhicule, notamment en ce qui concerne l’évitement d’obstacles et la reconnaissance de présence humaine – destiné à opérer au milieu de soldats, le système doit pouvoir les éviter dans sa progression. Aselsan travaille également sur plusieurs concepts.
La Russie ne semble pas avoir produit de nouveaux concepts cette année, mais a annoncé avoir formé ses premières unités robotisées en avril. Reste que les performances de ses systèmes ne sont pas aussi impressionnantes qu’annoncées. En Syrie, l’Uran‑9 n’a pas donné les résultats escomptés du fait de problèmes de liaisons de données et il y a fort à parier que l’unité évoquée sera surtout une unité expérimentale permettant de dégager des concepts d’emploi tactique, à l’instar de celle mise en place en France et de celles annoncées aux Etats-Unis. La littérature russe insiste en revanche sur l’utilité de systèmes robotisés pour les missions liées au génie et notamment au déminage.
La réelle inconnue est la Chine, qui travaille officiellement à l’« intelligentisation » de ses forces, en cherchant à utiliser les IA partout où elle le peut. Elle a déjà fait la démonstration de drones amphibies (comme le « Lézard marin » testé en 2019) et ses industriels ont développé plusieurs systèmes 4 × 4 et 6 × 6 de même que plusieurs plates-formes chenillées, y compris armées. Il semble également que les technologies liées à la navigation automatique et au « follow me » soient maîtrisées. Elle serait toutefois toujours dans une phase expérimentale, sans qu’aucune doctrine n’ait encore été dégagée.
Les enjeux sont moins techniques qu’opérativo-stratégiques
La robotique terrestre se cherche encore : si des fonctions comme le « follow me » et la navigation automatique sont de plus en plus fréquemment maîtrisées par les firmes qui se sont lancées dans le développement de robots terrestres, la question de l’ergonomie d’usage reste pendante. Les automatismes actuellement développés permettent certes de réduire la charge cognitive des utilisateurs – de sorte qu’un robot n’implique plus nécessairement la présence d’un pilote le téléopéréant tout le temps. Ils ne sont en revanche ne sont pas encore suffisamment avancés pour pouvoir interagir, que ce soit sur le plan tactique ou dans un cadre plus large. Et pour cause : l’affaire dépend moins de la robotique en tant que telle que de la toile multidomaine dans laquelle elle va s’insérer. L’expérience des Marines avec le Navy Marine expeditionary ship interdiction system (NMESIS) est, de ce point de vue, particulièrement intéressante. Basiquement, le système couple deux missiles antinavires NSM sur un JLTV « dronisé ». L’idée est de disposer de batteries de défense côtière mobiles pouvant être déployées par voie aérienne ou maritime puis opérer dans les îles du Pacifique ou en mer de Chine méridionale. La détection et le ciblage sont assurés par d’autres plates-formes, sous contrôle humain, dans une logique de combat distribué. Le système a été testé en avril et en août 2021 et l’expérience semble probante – et compatible avec le changement de posture doctrinale opéré par les Marines ces dernières années.
Bien des systèmes présentent un couplage entre munitions et plates-formes robotisées, mais c’est moins leur existence que les choix faits en matière de structure de force qui importe. De ce point de vue, si la France s’est dotée d’une section expérimentale et que le MGCS fera appel à des systèmes robotisés, SCORPION pourrait permettre à terme l’émergence de nouvelles idées. Une fois de plus, c’est bien la toile, plus que les effecteurs, qui importe. Du reste, cet aspect opératif a également des implications stratégiques. Dans le cas du leader européen Milrem, la multiplication des associations pouvait être vue comme une recherche d’opportunités strictement commerciales. Mais les accords récemment passés avec la Turquie et les grincements de dents qu’ils ont causés montrent aussi que les travaux en robotique ont des implications politiques qui débordent largement les aspects techniques. À l’heure où elle constitue l’un des vecteurs de l’accroissement de la masse opérationnelle des armées, autant le savoir…
Légende de la photo en première page : Deux variantes de la plate-forme TRX. Celle de droite est un porteur de munitions rôdeuses Switchblade. (© General Dynamics)