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Déni d’accès en Méditerranée orientale : l’un des thermomètres des relations OTAN/Russie

Par effet de trompe-l’œil, le conflit de 2022 en Ukraine efface les autres zones de conflit, y compris la Syrie, que les forces russes sont cependant loin d’avoir quitté. Leur crainte est de voir le conflit européen déborder au Levant. Jusqu’ici certaine d’éviter les chocs avec ses compétiteurs sur ce théâtre, Moscou se montre désormais prudente. Il est possible de restituer cette problématique. Les données accessibles sur l’armement et les senseurs déployés, conjuguées aux calculs de propagation des ondes, permettent cette analyse. Celle-ci s’accompagne de cartes de situation tactiques et d’intervisibilité radar, qui illustrent la complexité de l’interception de missiles de croisière.

Massées sur le littoral syrien, les défenses russes doivent en effet contrer des frappes venues de Méditerranée orientale (MEDOR) et, dans une moindre mesure, de la péninsule Arabique. La marine militaire russe (VMF) est mobilisée, avec les forces aérospatiales (VKS). Cette zone constitue un cas d’école bien documenté de l’adaptation d’un défenseur aux exigences du concept multimilieux/multichamps et de la coopération interarmées. Les moyens permettent d’assurer un certain déni d’accès naval, et constituent un système de défense aérienne intégré (IADS (2)) cohérent et crédible. La montée en puissance de l’arsenal y a été observée en 2018 et s’est accélérée à la mi-2021.

Jusqu’à 2017, face à la mer, la sérénité de l’armée russe en Syrie

Lattaquié constitue la première et principale base aérienne russe en Syrie. Les clichés des satellites Pléiades d’Airbus permettent d’assister à l’arrivée, le 19 septembre 2015, de quatre chasseurs Su-30SM. Certes modernes, ces avions restent isolés, sans l’armement suffisant pour tutoyer la flotte aérienne turque (3). Pour l’antinavire, les quatre bombardiers Su-34 et les 12 Su-24M déployés peuvent emporter quelques missiles antinavires. Toutefois, les équipages rompus à ces missions sont rares et ne sont pas déployés en Syrie (4). À ce stade, la protection de la piste comprend quatre systèmes à courte portée SA-22A/Pantsir‑S1 modernes. Les équipements de détection reposent quant à eux sur des stations radar P-12 et P-14, issues des années 1960 (5).

Cet arsenal, déployé en septembre 2015, n’entrave guère la liberté de manœuvre occidentale. Après tout, la Russie considère alors l’OTAN comme un compétiteur sur ce théâtre, et non comme un adversaire. Les affrontements en Ukraine ne sont anciens que de quelques mois et se sont terminés sur un statu quo indécis. Le raffermissement des liens à la faveur d’une lutte contre Daech – ennemi consensuel par excellence – semble être le pari à Moscou. Rétrospectivement, il semble qu’il aurait pu réussir. Les relations avec la France montrent un réchauffement après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Nul besoin pour Moscou de se montrer trop menaçante sur le terrain.

Le bref mais répété passage de la frontière turque par un bombardier russe Su-24M, le 24 novembre 2015, met un terme à ce relatif détachement. L’appareil est détruit par un chasseur F-16 turc alors qu’il avait regagné l’espace aérien syrien. L’un des pilotes est sauf, l’autre est capturé puis exécuté par l’insurrection. Les images de la dépouille, défigurée, choquent la Russie. Pour sa part, l’OTAN affiche une relative solidarité avec la Turquie et met en garde Moscou. Sur ce théâtre, la rupture Est-Ouest est consommée.

<strong>Deni d'accès russe en Méditérranée orientale</strong>

La défense de la base aérienne de Lattaquié se renforce immédiatement avec une batterie sol-air longue portée S-400/SA-21 – allonge maximale 250 km – qui arrive le 26 novembre 2015 (voir carte ci-dessus) et, en attendant son déploiement, le croiseur Moskva, qui est armé d’un système surface-air S-300F (75 km d’allonge), se positionne près des côtes syriennes. Les Pantsir d’autodéfense de la piste passent au nombre de six et, à partir de janvier 2016, sont relevés par une version modernisée (SA-22B) dotée d’un nouveau radar de veille. Sept mois plus tard, le 4 octobre 2016, un système antiaérien S-300VM (SA-23) rejoint Massyaf, près de la frontière libanaise et du port russo-­syrien de Tartous, suivi d’une batterie de missiles antinavires Bastion-P d’une portée de 300 km, qui protège le littoral en juin. Pour ce qui concerne le contingent aérien, quatre chasseurs Su-35S capables d’emporter des missiles air-air modernes arrivent le 31 janvier 2016 (6). La Russie engage désormais un dispositif multicouches sur « son » îlot syrien, avec une allonge qui lui permet – sur le papier – de couvrir toutes les approches.

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