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Le train au cœur des enjeux géopolitiques

Leadership de la Chine, relance des infrastructures aux États-Unis, plan de l’Union européenne pour développer le fret, nouvelles lignes africaines… Le ferroviaire est en pleine renaissance. De quoi susciter la convoitise des puissances et attiser les tensions.

La crise climatique, exacerbée d’autant plus avec la pandémie de Covid-19, a pour effet de remettre le train à l’honneur. Après avoir connu une période de grandeur au XIXe siècle, le rail avait ensuite subi, au siècle suivant, la concurrence de la voiture et de l’avion. Mais désormais, la tendance s’inverse. Pour le fret comme pour les passagers, ce mode de transport a le vent en poupe. Une relance qui ne se fait néanmoins pas sans heurt. Le train se retrouve plus que jamais au cœur des tensions géopolitiques, régionales comme mondiales. Un grand jeu ferroviaire se met alors en place.

« Rail Baltica » : Moscou face à l’UE et à l’OTAN

Commençons avec la Russie. Alors que la situation à la frontière ukrainienne se révèle chaque jour de plus en plus inquiétante, un conflit ferroviaire est en train de se jouer un peu plus au nord. Son nom : « Rail Baltica », terrain d’affrontements entre Moscou d’un côté, et l’Union européenne et l’OTAN de l’autre. Il s’agit d’un immense projet de liaison ferroviaire destiné à connecter la Pologne à la Finlande à travers les pays baltes (voir carte ci-dessous). L’enjeu est géopolitique et aussi géoéconomique : les pays baltes veulent sortir de leur dépendance à la Russie en matière de transport ; or, leurs lignes actuelles de train sont tournées vers Moscou, notamment via Minsk. L’UE cherche ainsi à créer un corridor ferroviaire, fret et passagers, à la frontière russe. Bruxelles prend en charge 80 % du coût, estimé à près de 6 milliards d’euros. À cela s’ajoute, à la fin du parcours, le projet dantesque de construction d’un tunnel sous la Baltique pour relier Tallinn à Helsinki et qui serait le plus long tunnel ferroviaire sous-marin au monde. Parmi les financeurs du tunnel se trouve notamment la Chine dans le cadre de ses nouvelles routes de la soie…

<strong>Projet « Rail Baltica »</strong>

Le projet « Rail Baltica » est encore en cours : si en Lituanie, à Kaunas, le terminal intermodal a été construit et si une partie de la ligne est déjà en activité, en Estonie, dans le comté de Pärnu, la réalisation d’une partie du tronçon vient d’être annulée en raison de la mobilisation des acteurs environnementaux. Car ce projet a aussi de nombreux détracteurs au sein de la population, avec également la crainte que cette liaison n’aggrave encore plus les tensions avec les communautés russophones. Mais surtout, Moscou accuse l’Europe, de son côté, de construire une ligne pour faciliter le déplacement de troupes et de matériel militaire au sein de pays membres de l’OTAN : « Il s’agit d’un projet d’importance politique plutôt qu’économique », affirme Adrian Furgalski, consultant polonais en transport (Emerging Europe, août 2021).

Crimée : la mainmise de Moscou par le rail

La Russie sait d’autant plus l’importance des corridors ferroviaires qu’elle-même mise sur le train pour affirmer sa mainmise sur les territoires. L’exemple de la Crimée est frappant. Après l’avoir annexée en 2014, la Russie lance la construction d’un pont au-dessus du détroit de Kertch, dont la traversée se faisait jusqu’alors en ferry. Le but est de pouvoir créer un axe direct de communication entre la Russie et la Crimée sans passer par l’Ukraine. L’idée n’est pas nouvelle : Hitler avait déjà lancé un projet similaire de pont, mais un tiers seulement avait été construit avant d’être dynamité lors du retrait des forces allemandes. La Russie confie sa construction au milliardaire Arkadi Rotenberg, proche de Vladimir Poutine. Des entreprises néerlandaises participent à ce projet, violant les mesures de sanctions mises en place par l’UE. Bruxelles dénonce d’autant plus ce projet que son édification va bloquer le passage des plus grands navires vers la mer d’Azov et donc vers les ports ukrainiens. De quoi envenimer encore plus les relations entre Moscou et Kiev, alors que se poursuit le conflit dans le Donbass, opposant séparatistes pro-russes et forces ukrainiennes. Le pont, dont le coût avoisine au final les 3 milliards de dollars, est inauguré d’abord en 2018 pour sa partie routière, puis en 2019 pour sa section ferroviaire.

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