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Le train au cœur des enjeux géopolitiques

États-Unis : « Amtrak Joe » relance le réseau passagers

On le voit : la Chine prend place par le train dans le monde entier. Face à cette domination, les États-Unis entendent bien réagir. Si Donald Trump avait laissé l’enjeu ferroviaire de côté, ce n’est pas le cas de son successeur Joe Biden. Ce dernier est un aficionado du rail. On le surnomme « Amtrak Joe » (du nom de la compagnie de transport passager Amtrak). Il a lancé sa première campagne électorale depuis une gare et se rendait chaque jour de son fief de Wilmington à Washington en train — une démarche singulière aux États-Unis où, si le fret est bien développé (40 % des marchandises transitent par ce biais), le transport de passagers est lui marginal, largement devancé par la voiture et l’avion. Désormais installé à la Maison-Blanche, Joe Biden entend bien relancer le train, avec comme levier son plan massif de développement des infrastructures. Fidèle à sa stratégie keynésienne d’investissement public, il projette d’injecter 80 milliards de dollars dans le train (voir carte ci-dessous). Après le lent déclin du rail américain, place à sa renaissance ? Au programme : le lancement de lignes à grande vitesse (sur les côtes est et ouest) et le rêve à long terme de lignes transcontinentales. Le but est de repenser une mobilité des Américains plus vertueuse écologiquement, mais aussi de répondre à l’essor de la Chine. « Je veux que les États-Unis soient le leader mondial dans la grande vitesse », a affirmé en février 2021 Pete Buttigieg, secrétaire d’État aux Transports. On notera d’ailleurs le choix de confier ce portefeuille à une personnalité politique de premier plan, qui était arrivée en cinquième position dans les primaires du parti démocrate. Mais derrière ces déclarations enflammées, n’est-ce pas trop tard ? Le retard semble long à rattraper face au concurrent chinois.

<strong>États-Unis : le réseau voyageurs en expansion</strong>

En 1917, le réseau américain faisait 400 000 kilomètres contre 228 000 kilomètres en 2010…

Les États-Unis entendent aussi profiter du traité de libre-échange signé en 2020 avec le Canada et le Mexique pour développer entre les trois pays un réseau de fret encore plus performant. L’objectif est de réaliser un véritable maillage transcontinental. Une fusion des compagnies existantes a déjà abouti à la création de la Canadian Pacific – Kansas City Southern. Elle va permettre de relier les ressources énergétiques du Canada jusqu’aux ports du Mexique, et inversement, en passant par les usines et les fermes du Midwest américain. L’industrie automobile est aussi concernée, tant dans les traditionnelles zones de production de Détroit que dans celles en plein essor du Mexique. Au même moment, les migrants d’Amérique centrale montent eux aussi à bord des trains pour tenter de rejoindre les États-Unis, dans des conditions inhumaines : selon le rapport d’Amnesty international (2010), « certains migrants disparaissent sans laisser de trace, ils sont enlevés et tués, ou sont volés, agressés et jetés de trains roulant à vive allure. »

En Europe, l’Autriche : leader des trains de nuit

Face à la rivalité sino-américaine, quelle place peut avoir l’Europe ? L’UE a fait de l’écologie une priorité de son plan de relance. Selon l’Ademe (Agence de transition écologique), un déplacement en TGV émet 45 fois moins de CO2 qu’un trajet en avion (même s’il ne faut pas sous-estimer l’impact environnemental de la construction de nouvelles lignes). Les États doivent donc revoir leur stratégie, un véritable changement de cap.

L’exemple du train de nuit est effarant : en 2016, les principales compagnies européennes décident de les supprimer. En France, ces trajets sont remplacés par les fameux cars Macron — Emmanuel Macron est alors ministre de l’Économie. En Allemagne, la Deutsche Bahn revend ses rames…

Un dernier pays fait de la résistance : l’Autriche, qui seul développe les trains de nuit. Vienne aura eu bien raison. Car aujourd’hui, la tendance s’inverse : les pays veulent tous relancer ces dessertes nocturnes. Mais le retard qu’ils ont pris est fâcheux : le matériel roulant des trains de nuit nécessite plusieurs années de fabrication. C’est donc bien la compagnie autrichienne OBB qui prend le leadership européen et signe des accords de coopération avec les autres compagnies, comme la SNCF, pour pouvoir faire circuler les trains sur tout le continent. L’axe Paris-Vienne a ainsi été relancé en décembre 2021.

<strong>Voyager en Europe à bord d'un train de nuit</strong>

Initiée par l’Europe, la libéralisation du transport ferroviaire va-t-elle permettre un redéploiement du train sur le continent ? Le précédent britannique, où la libéralisation avait conduit à un dysfonctionnement du réseau, incite à la prudence. Mais pour autant, plusieurs initiatives innovantes voient le jour : une start-up française, Midnight Trains, entend relancer les trains de nuit en imaginant des rames ultraconfortables à travers le continent. Parmi les investisseurs, on retrouve notamment l’homme d’affaires Xavier Niel. Une coopérative, Railcoop, remet quant à elle à l’honneur les lignes oubliées par la SNCF, comme l’axe Lyon-Bordeaux. Ces parcours, qui ne passent pas par Paris, devraient donc connaître un renouveau. La preuve aussi que la SNCF a sans doute trop misé, ces dernières années, sur les dessertes à grande vitesse, oubliant ses plus petites lignes. À l’occasion du 40e anniversaire du TGV, Emmanuel Macron a pourtant encore insisté pour développer la construction de nouvelles lignes à grande vitesse : Bordeaux-Toulouse, Roissy-Picardie… Sans pour autant avoir trouvé de modèle économique au TGV qui, du fait du coût des péages, accentue les pertes de la compagnie.

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