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La course aux semi-conducteurs, miroir des déséquilibres mondiaux

Le positionnement de pointe de Taïwan a bénéficié d’un engagement politique inébranlable en faveur de cette industrie, fortement subventionnée. La construction d’une usine de pointe nécessite évidemment un fort soutien des gouvernements. Taïwan subventionne le développement d’usines de puces ultrasophistiquées par son géant TSMC — des usines de pointe dont la construction coûte au moins 20 milliards d’euros. Cette avance spectaculaire dans la course à la miniaturisation, désormais même sur les États-Unis, suscite la convoitise de la Chine qui, malgré des investissements visiblement illimités, paie encore les conséquences de la Révolution culturelle sur son aspiration à la fiabilité dans les technologies les plus avancées.

Aux États-Unis, on avait observé depuis les années 2000 une tendance à délaisser la production de semi-conducteurs pour se concentrer sur la conception de puces, ce que l’on nomme « modèle fabless ». C’est le modèle de nombreux géants comme Apple. Intel, sous sa précédente direction, s’orientait dans cette direction à la marge, l’entreprise perdant du terrain dans les techniques de production au profit de TSMC. Son nouveau PDG, Patrick Gelsinger, a au contraire remis l’accent sur la production et la montée en gamme, afin de rattraper le retard pris ces dernières années sur les normes 7nm et 5nm. Intel a ainsi inversé sa stratégie consistant à déléguer de plus en plus la production pour se concentrer sur la conception. Son directeur a dès lors multiplié les annonces d’investissements productifs aux États-Unis, mais aussi dans le monde et notamment en Europe. 

L’Europe tente de rattraper son retard

L’annonce par Thierry Breton d’un programme de 145 milliards d’euros pour moderniser l’industrie européenne des semi-conducteurs d’ici 2030 a été accueillie avec enthousiasme en 2021, notamment par des partenaires américains potentiels comme Intel, mais paradoxalement de façon plus mitigée en Europe. Certaines entreprises, comme la franco-italienne STMicroelectronics, avaient alors écarté la perspective de s’engager dans des projets de pointe ou d’intégrer davantage la question de la souveraineté industrielle.

D’autres ont souligné à juste titre la nécessité de prendre en compte le manque de débouchés pour la production de puces de pointe, alors que les grandes puissances économiques cherchent à garantir leur propre autonomie et exigent des producteurs qu’ils localisent davantage leur production, comme le montrent les projets d’usines du taïwanais TSMC et de Samsung aux États-Unis. Ainsi, l’absence de conception de puces de pointe par le secteur électronique en Europe risque de priver la production avancée de semi-conducteurs de débouchés.

Le retard européen dans les semi-conducteurs est lié à l’affaiblissement du secteur de l’électronique en général en Europe. On a vu cet échec dans la téléphonie notamment. Dans les années 1990, l’Europe disposait de fleurons comme Nokia qui étaient à l’avant-garde. Les semi-conducteurs ont connu une trajectoire similaire, suivant le manque de débouchés dans l’industrie électronique du continent. Cela ne signifie pas que la production avancée doive être abandonnée, mais plutôt qu’un redéploiement intégré de l’ensemble de la chaîne, y compris la conception, doit être encouragé.

Il y a trente ans, l’Europe jouissait d’une position forte avec 40 % de la production mondiale de semi-conducteurs, mais sa position actuelle se limite à 10 % du marché et, surtout, à des échelles de taille bien supérieures aux standards avancés. À cet égard, la situation européenne fait moins penser à celle des États-Unis qu’à celle de la Chine. Bien que la Chine produise environ un quart des processeurs du monde, elle peine à évoluer vers une production plus sophistiquée et reste très dépendante de ses voisins asiatiques plus développés, ainsi que des États-Unis pour la conception. La production européenne n’est plus véritablement positionnée dans la course à la miniaturisation et n’est pas non plus assez massive pour garantir la résilience des chaînes de production dans les secteurs qui en dépendent.

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