Alors que les violences ne semblent pas diminuer au Mali, quel est concrètement l’état de la situation sécuritaire du pays aujourd’hui ?
A. Bencherif : La situation sécuritaire est toujours aussi délicate au Mali. Le centre du pays est encore et toujours le lieu d’affrontements entre différents groupes armés. Les tensions ethniques continuent d’être instrumentalisées par les différents acteurs, notamment les milices qui amplifient les récits de rivalités et d’opposition entre communautés sahéliennes. De nombreux affrontements ont notamment eu lieu entre les forces de sécurité maliennes assistées par la milice Wagner, et les groupes djihadistes. Les exactions commises par l’armée malienne, associée à Wagner, contre des « Peuls » considérés comme des djihadistes, renforcent la défiance contre les représentants de l’État. Les groupes djihadistes, plus particulièrement le JNIM [Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans], dénonce régulièrement les exactions commises par l’État malien et s’érige en protecteur des communautés peules, en instrumentalisant cet enjeu.
Dans le Nord du pays, cela dépend des régions. Dans la région de Ménaka, le groupe de l’État islamique au grand Sahara (EIGS) est dominant, ce qui a conduit à une coalition de circonstances entre le Mouvement pour le salut de l’Azawad – Daoussahak (MSA-D) et le JNIM pour lutter contre l’EIGS. Il est encore trop tôt pour affirmer si cette alliance va perdurer ou non, ou si les résultats des opérations conjointes vont permettre une réelle sécurisation de la région. Néanmoins, on peut considérer que les groupes membres de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad), signataire de l’accord d’Alger, et le JNIM, ont pris conscience de l’ampleur de la menace de l’État islamique dans la région de Ménaka. Dans la région de Kidal, la CMA demeure l’acteur politico-militaire dominant et la situation semble plus ou moins stable sur le plan sécuritaire. Enfin, depuis l’arrivée de Wagner au Mali, la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée. Au contraire, selon la sous-secrétaire d’État américaine, il y aurait eu une augmentation de 30 % du nombre d’attaques terroristes au cours des six derniers mois.
Quel a été l’impact du départ des troupes françaises de la force Barkhane sur l’état de la sécurité dans le pays ?
Il est difficile de parler d’impact immédiat après le départ de la force Barkhane, car la situation sécuritaire doit être appréhendée à l’aune de reconfigurations impliquant de nombreux acteurs. Le retrait de Barkhane acte surtout une rupture de confiance entre le régime malien et les autorités françaises, qui n’a fait que s’accroître depuis le premier coup d’État en août 2020. De nombreux autres pays occidentaux ont annoncé leur retrait, y compris dans leur participation au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), comme tout récemment le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ce retrait s’explique, entre autres, par le rapprochement des putschistes maliens avec la Russie, et plus particulièrement avec Wagner.
La MINUSMA est aussi impactée dans ses activités. Pour parvenir à mener ses activités de stabilisation et maintien de la paix, la mission onusienne était dépendante des opérations de contreterrorisme menées par la France. Cela va certainement amener la MINUSMA à devoir réfléchir aux autres partenaires sécuritaires opérant au Mali, comme la milice Wagner. Si c’est le cas, cela ne manquera pas de soulever des questions de droit international… Dans quel cadre, à travers quels critères et quelles balises, une mission onusienne peut-elle collaborer avec une milice comme Wagner, dans le but de protéger les populations ?