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Guerre contre le djihadisme : Mali et Burkina Faso face à un avenir incertain

En parallèle, quel est l’effet de l’arrivée des mercenaires du groupe Wagner, alors que plusieurs témoignages accusent des troupes russes de violence contre la population civile ?

Il est également difficile de considérer qu’il y a des effets immédiats tangibles apportés par la milice Wagner. Néanmoins, il y a une bataille d’opinions que la Russie gagne vraisemblablement au Mali, car les populations, souvent au sein de la capitale, considèrent que la situation s’améliore et que l’armée malienne est plus efficace sans les forces françaises. Ce type de récits est très présent sur les réseaux sociaux (WhatsApp, Facebook et Twitter). Il est probable que cette perception finisse par s’estomper à moyen terme, lorsque les populations constateront l’ampleur des exactions commises par Wagner, ainsi que la non-amélioration de la situation sécuritaire au Mali. 

Quelle est concrètement la stratégie actuelle du nouveau gouvernement malien dans sa lutte contre les djihadistes ?

C’est une très bonne question. Le principal élément de rupture dans la stratégie actuelle du contre-terrorisme, par rapport au régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, est la distance existante et affirmée avec les autorités françaises. Je pense que le principal élément stratégique de la junte malienne est d’ordre communicationnel. Les putschistes cherchent à rassurer les populations en feignant de contrôler la situation et en se défaussant sur la France, ou d’autres acteurs étrangers, lorsqu’ils sont confrontés à des enjeux sécuritaires. À côté de cela, il y a une sorte de laissez-faire dans la région de Ménaka, où ils laissent les groupes armés de la CMA, le MSA-D et le Gatia (Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés), ainsi qu’à présent le JNIM, mener la lutte contre l’EIGS. Il n’est pas impossible que leur affaiblissement mutuel dans les affrontements soit considéré comme positif par les autorités maliennes. Enfin, l’un des éléments de la stratégie contre-terroriste, par ailleurs, est la collaboration accrue avec la Russie, plus particulièrement via Wagner. La communication des opérations est aussi plus resserrée et vise à présenter les opérations comme des réussites, et dissimuler, éventuellement, les exactions commises. Pour finir, je doute que les espaces de discussion et de négociation avec les groupes djihadistes soient complètement arrêtés, mais ils ne sont pas mis en avant dans la communication officielle. 

Alors que le Burkina Faso doit également faire face à une intense vague de violence, quel est aujourd’hui l’état de la situation sécuritaire dans le pays ? L’État a-t-il encore le contrôle de son territoire ?

La situation sécuritaire dans le pays est alarmante. La principale raison invoquée par les putschistes, pour justifier le premier et le second coups d’État de 2022 au Burkina Faso, était l’incapacité des dirigeants politiques à sécuriser le pays. Un convoi de ravitaillement envoyé à la ville assiégée de Djibo a été attaqué le 26 septembre, alors qu’il était escorté par des militaires burkinabés. Des dizaines de civils ont été tués ainsi que des militaires, avec des dégâts matériels importants. Les populations burkinabées ont retiré leur confiance au gouvernement du lieutenant-colonel putschiste Damiba, qui avait fait un coup d’État en janvier 2022 pour restaurer la paix et la stabilité au Burkina Faso. L’incident du convoi aurait été la goutte d’eau ayant fait déborder le vase. Néanmoins, c’est l’absence de résultats, au cours des derniers mois, qui a certainement conduit à l’éviction de Damiba, victime à son tour d’un coup d’État mené cette fois-ci par le capitaine Traoré.  

À propos de l'auteur

Adib Bencherif

professeur en science politique et directeur du Laboratoire interdisciplinaire sur les risques et les crises (LIRIC) à l’Université de Sherbrooke (Canada) et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand.

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