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L’accès aux soins en France : une géographie inégalitaire

Après deux années de crise liée à la pandémie de Covid-19, le système de soins en France est sous tension et sort d’une période qui a épuisé le personnel de santé et placé l’encadrement sanitaire national au cœur du débat public. Les inégalités territoriales sont de plus en plus criantes et les « déserts médicaux » s’étendent, tandis que les services d’urgences souffrent d’un manque de moyens et de personnel provoquant des fermetures parfois définitives.

a crise sanitaire que la France et le monde entier ont traversée a contribué à amplifier un grand nombre de dysfonctionnements du système de soins (hôpitaux, services d’urgences, maisons de santé…) pour atteindre un point de rupture. La première vague de Covid-19 au printemps 2020 avait révélé le déficit de masques chirurgicaux et de matériel de protection. Tout au long de la pandémie, les services de réanimation ont été saturés, manquant de lits et de matériel. Les urgences ont été, et restent encore, débordées, principalement par manque de personnel. Le retard dans la mise en place de la politique de vaccination s’est accompagné de la suspension des soignants non vaccinés.

De nombreux dysfonctionnements plus structurels ont été révélés par la crise de la Covid-19 : diminution de médecins généralistes en activité régulière, fermeture de lits dans les hôpitaux soumis à des restrictions budgétaires, regroupement géographique des petites unités hospitalières (particulièrement des maternités, dont le nombre est passé de 814 en 1996 à 461 en 2019 en métropole), personnel soignant vacant ou en reconversion, rémunération insuffisante, notamment des infirmières, modestement revalorisée par le Ségur de la santé (mai-juillet 2020). Depuis vingt ans, les politiques libérales et les normes comptables et marchandes de l’économie de la santé ont contribué à catalyser ces dysfonctionnements du système sanitaire et à aggraver les inégalités territoriales des citoyens dans l’accès aux soins à différentes échelles.

Les urgences en difficulté

Dans ce contexte de dégradation généralisée, une centaine d’hôpitaux (sur les quelque 620 établissements publics et privés disposant d’un ou de plusieurs services d’urgences), et notamment 14 des 32 plus grosses structures hospitalières (CHU et CHR), ont dénoncé fin mai 2022 de graves difficultés opérationnelles. Plus de la moitié d’entre eux (Bordeaux, Grenoble, Cherbourg…) ont décidé d’instaurer un « accès régulé » chaque nuit entre 20 heures et 8 heures. À l’exception d’une « urgence avérée », nécessitant un appel téléphonique préalable au 15, il est impossible d’accéder aux urgences. En cause : le manque de personnel, particulièrement de médecins urgentistes. En 2013, la France en comptait 7 139, dont 4 926 à temps plein, un chiffre qui est tombé à 4 410 cinq ans plus tard (sur un total certes en hausse : 8 854). Beaucoup sont partis ces dernières années dans le secteur libéral ou font de l’intérim, plus rémunérateur. Certains établissements, plus petits (Auch, Voiron, Altkirch…), ont partiellement fermé leur service. D’autres pratiquent le « délestage » en renvoyant les patients vers des structures proches qui peuvent encore les accueillir. L’été (et l’absence de personnel pour cause de vacances) est propice à une aggravation de la situation. Tous les territoires sont concernés, et particulièrement ceux des régions à forte attractivité touristique (littoraux méditerranéen et atlantique, Alpes, Pyrénées, Massif central, Corse…) et souvent exposées à une accidentologie estivale importante.

Face à cette crise des urgences hospitalières (qui ont enregistré près de 22 millions de passages en 2019, soit le double d’il y a vingt-cinq ans), le président Emmanuel Macron (depuis 2017) a lancé le 31 mai 2022 la mission « Flash » afin de garantir et d’améliorer l’accès aux soins urgents et non programmés. Cette mission devait exposer le 1er juillet 2022 une quarantaine de propositions d’application immédiate pour éviter l’effondrement du système : en jeu, la création de postes, la rémunération du personnel, la diminution de la pénibilité des charges de travail, l’attractivité générale d’un secteur en pleine déliquescence.

Un encadrement sanitaire aux dynamiques variées

Pour autant, la France reste un pays développé où la probabilité de vivre longtemps en bonne santé est plus élevée que dans la majorité des États du monde et son système de soins est souvent envié. La consommation de soins, de services sanitaires et de biens médicaux est, avec les retraites, le poste de dépense le plus important de la protection sociale en France. En 2020, elle s’est élevée à 284,5 milliards d’euros, soit 12,4 % du PIB, en hausse significative (11,3 % en 2018), en raison de la crise de la Covid-19. Parmi les pays de l’OCDE, seuls les États-Unis, l’Allemagne et la Suisse investissent davantage. Cette dépense est d’environ 4 200 euros par habitant et, en moyenne, la Sécurité sociale prend en charge les trois quarts du financement de la consommation de soins et de biens médicaux.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

À propos de l'auteur

Éric Janin

Agrégé de géographie, Éric Janin est professeur en classes préparatoires aux grandes écoles en Île-de-France.

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