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Défense belge. Changement de posture

La composante navale

Le remplacement des deux frégates achetées d’occasion aux Pays-Bas par deux neuves – en cours de conception – et celui des chasseurs de mines ayant déjà fait l’objet de contrats, la partie du plan consacrée aux capacités navales a peu attiré l’attention. Outre plusieurs programmes de modernisation, trois évolutions sont notables :

• la dotation des frégates d’une capacité antimissiles balistiques pour 136,19 millions d’euros à l’horizon 2029, ce qui ne manque pas d’interpeller au regard du faible nombre de lanceurs verticaux Mk41 des frégates (8). A priori, la détection se ferait depuis un bâtiment allié ;

• l’adaptation d’un bâtiment au minage, avec dans un premier temps des études portant sur la plate – forme porteuse et le type de mines préférable ;

• la mise en place de « capteurs et effecteurs contre de petites cibles de surface et sous-marines » pour la protection des ports, pour un montant de 17,03 millions d’euros à l’horizon 2027.

Une réforme globale

Le plan STAR constitue la réforme de plus grande ampleur engagée en Belgique depuis la fin de la guerre froide, même s’il s’appuie sur les programmes lancés précédemment. S’y adjoignent de gros volumes d’investissements liés aux communications et au commandement : 357,58 millions d’euros (niveau interarmées et renseignement) ; 912,34 millions (composante terre) ; 121 millions (composante marine), 398,43 millions (composante air) et 45,4 millions (composante médicale). En fin de compte, le plan représente des montants considérables : 11,176 milliards d’euros, qui s’additionnent à ceux (environ 9,2 milliards) liés aux contrats passés sous les législatures précédentes. Reste que plusieurs observations doivent être faites.

D’abord, 7,465 milliards d’euros seront liquidés durant la période 2023-2030, couverte par la Loi de programmation militaire, ce qui signifie qu’environ 3,708 milliards devront être trouvés plus tard. Ensuite, il faut rappeler que le gros de ces investissements reposera sur les prochains gouvernements, le suivant devant être formé au terme des élections de 2024 (sauf élections anticipées), ce qui pose la question de son respect de la Loi de programmation militaire. Il en va de même pour les 3,708 milliards qui n’auront pas été liquidés en 2030 : en théorie, l’augmentation du budget à 2 % du PIB à l’horizon 2035 devrait résoudre la question, du moins si des coupes ne sont pas opérées… Or, en Belgique comme ailleurs en Europe, l’inflation, le poids de la dette publique – alors que ses taux évoluent à la hausse – et celui des dépenses publiques pourraient, dans le contexte de gouvernements de coalition où le consensus sur les dépenses autres que de défense prédomine, miner la planification.

Enfin, si l’effort réalisé est important, il reste perçu comme insuffisant. Plusieurs capacités, notamment dans le domaine pontonnier, ne sont pas prises en compte par le plan. Ce dernier, du reste, peut surtout être lu comme une « remise en cohérence systémique » : à quelques exceptions près (drones, hélicoptères, missiles antiaériens), il ne s’agit pas tant d’acquérir de nouvelles capacités ou d’augmenter celles déjà disponibles que de moderniser et de rendre pleinement utilisables celles qui sont planifiées. Ce rattrapage est bien évidemment nécessaire, mais cela n’augmente pas la masse de combat générale, ce qui aurait nécessité de plus gros investissements – politiquement délicats –, mais surtout d’avoir un recrutement qui puisse soutenir cette montée en puissance. Soit une donnée qui est encore moins prédictible que la sincérité budgétaire du politique… L’attractivité du métier des armes a déjà fait l’objet d’un premier plan, POP (People our priority), présenté en février 2021. Reste à voir quel succès il remportera.

Au rang des critiques, on peut estimer que le plan reste vague sur la question des munitions. Or ces dernières constituent un levier d’efficience, par exemple pour la petite capacité de combat aérien. Les experts du Comité stratégique recommandaient ainsi l’acquisition de missiles de croisière et de missiles air-air à très longue portée, ce qui ne semble pas repris dans le plan STAR. Par ailleurs, la robotique, au-delà de ce qui est prévu pour la marine et la force aérienne, est la grande absente du plan (6). De plus, des zones d’ombre subsistent sur les plans industriel et de la participation à certains programmes européens à long terme. Le rapport du Comité stratégique proposait ainsi des investissements dans un des futurs systèmes de combat aérien européen (7), mais aussi dans le MGCS (Main ground combat system). Cependant, le plan laisse des marges de manœuvre : études exploratoires et de faisabilité concernent nombre de capacités évoquées. À voir, par exemple, si les investissements pour la capacité artillerie incluront des microdrones destinés à l’appui au ciblage.

Finalement, le plan STAR représente un ensemble cohérent et un remarquable effort pour un pays qui a longtemps considéré sa défense comme une variable d’ajustement budgétaire, au risque d’être jugé comme un « free-rider » de la sécurité européenne alors que son PIB/habitant était le sixième de l’Union européenne en 2021 (8). Si l’on peut estimer que ce sursaut stratégique intervient bien tard et qu’il faudra encore près de dix ans pour voir se produire les effets espérés, la ministre de la Défense actuelle entend poursuivre la réflexion jusqu’à 2040. En attendant, les fondamentaux belges restent d’actualité, avec un degré d’intégration européenne – France, Pays-Bas, Luxembourg, Royaume – Uni en particulier – qui devrait se renforcer : de quoi verrouiller politiquement la trajectoire de remise en forme des forces ?

Notes

(1) Joseph Henrotin, « L’agonie des forces armées belges », Défense & Sécurité Internationale, no 112, mars 2015.

(2) Entretien avec Pierre Gérard et Manuel Monin, « CAMO : sous le capot de la coopération européenne la plus avancée », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 72, juin-juillet 2020.

(3) Lesquelles couplent non seulement le budget de la défense, mais aussi les pensions et les achats majeurs de matériels.

(4) Un terme vague qui recouvre notamment la très aiguë problématique du financement des retraites.

(5) Service général du renseignement et de la sécurité.

(6) Dans le même temps, on note, p. 82, dans la partie consacrée aux réalisations actuelles et futures au profit des forces spéciales : « Les systèmes d’armes autonomes létaux, au sens de systèmes autonomes capables d’utiliser la force létale contre des personnes sans véritable contrôle humain, sont explicitement exclus ».

(7) Au moment du choix du F-35, environ 359 millions avaient été budgétés pour ce faire.

(8) https://​www​.insee​.fr/​f​r​/​s​t​a​t​i​s​t​i​q​u​e​s​/​2​8​3​0​288

Légende de la photo en première page : Démonstration de forces spéciales belges. (© BeAv Photos/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI n°161, « Ukraine : les HIMARS en action », Septembre-Octobre 2022.
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