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Soudan, une révolution confisquée par les militaires

Économie soudanaise : un cercle restreint de partenaires

Parmi les moteurs du changement au sein du pouvoir, l’économie apparaît centrale dans la mesure où la situation de l’économie soudanaise n’a cessé de se dégrader depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, qui a sonné le glas de la rente pétrolière pour l’État soudanais. Cette dégradation a constitué un facteur central dans le mécontentement qui a conduit à la chute du régime d’Omar al-Bashir (7). Maintenir l’économie à flot constitue dès lors une ligne rouge à ne pas franchir pour les militaires, d’autant qu’ils ont eux-mêmes joué activement sur cet aspect pour discréditer les civils dans les premiers mois de la transition en dénonçant leur incapacité à gérer les affaires du pays. Le gel de la levée des sanctions internationales leur complique la donne, rendant le soutien de leurs partenaires internationaux d’autant plus fondamental. L’Égypte s’avère être aujourd’hui un soutien fort des militaires, tout comme l’Arabie saoudite, pour le compte de laquelle l’armée soudanaise a récemment travaillé au Yémen — et notamment Heimidti et Al-Burhan —, ainsi que les Émirats arabes unis. Par ailleurs, de nouveaux partenariats voient le jour, notamment dans le secteur minier aujourd’hui en pleine expansion comme dans le reste de la zone sahélienne (8). La complexité de la scène soudanaise pour les investisseurs internationaux, en raison des sanctions américaines et de l’instabilité de certaines régions du pays, fait que ce secteur minier a attiré un certain type de partenaires, notamment chinois mais aussi turcs et russes. Ces partenariats, qui orientent le Soudan hors de la sphère occidentale, ne sont pas sans conséquences pour les civils car leurs acteurs se révèlent bien moins exigeants d’un point de vue démocratique et bien moins regardants en ce qui concerne les droits humains. La rencontre récente entre Heimidti et Poutine, tout comme la présence au Soudan du groupe de sécurité privée russe Wagner et son implication très controversée dans le secteur minier soudanais, confirment cette nouvelle orientation de la transition soudanaise et l’idée que la révolution a été confisquée au profit d’un retour à un régime autoritaire.

Notes

(1) Jean-Nicolas Bach, Raphaëlle Chevrillon-Guibert et Alice Franck (dir.), « Soudan. Jusqu’au bout du régime al-Inqaz », Politique africaine, 2020/2, n°158 et Clément Deshayes, Margaux Etienne et Khadidja Medani, « Retour sur les dynamiques révolutionnaires soudanaises », mai 2019, Noria Research (https://​bit​.ly/​3​C​e​K​sC7)

(2) Clément Deshayes, Lutter en ville au Soudan  : ethnographie politique de deux mouvements de contestation : Girifna et Sudan Change Now, thèse de doctorat en anthropologie, Université Paris 8, 5 décembre 2019.

(3) Gérard Prunier, Un génocide ambigu, Paris, La Table Ronde, 2005.

(4) Le Soudan a connu plusieurs guerres civiles dans ses régions du Sud depuis les prémisses de l’Indépendance en 1956 (1955-1972 puis 1983-2002 (cessez-le-feu)/2005 accord de paix). Celles-ci ont conduit à la séparation en deux du pays avec la création en 2011 du Soudan du Sud. Au Darfour, une guerre a éclaté en 2003 et dure depuis avec des épisodes de basse intensité. Dans les régions du Kordofan et du Nil bleu, de nouveaux conflits civils ont éclaté depuis 2011. 

(5) Terme communément utilisé au Soudan pour désigner les membres du mouvement islamique soudanais et les membres de son régime, militants ou non du mouvement islamique. Le mouvement islamique soudanais a constitué la véritable colonne vertébrale du régime d’al-Bashir.

(6) « Kāyzan » désigne au Soudan les islamistes au pouvoir.

(7) Raphaëlle Chevrillon-Guibert, « Économie politique du régime et de la révolte », mai 2019, Noria Research (https://​bit​.ly/​3​A​t​v​iHV) .

(8) Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Enrico Ille et Mohamed Salah : « Pratiques de pouvoir, conflits miniers et économie de l’or au Soudan durant le régime d’Al-Inqaz  », Politique africaine, 2020/2, n°158, p. 123-148 (https://​bit​.ly/​3​c​0​V​Yqa).

Légende de la photo en première page : Le 31 décembre 2021, les rues de Khartoum étaient investies par des dizaines de milliers de manifestants, tous réclamant l’instauration d’un pouvoir civil à la tête du Soudan. En riposte à cette marche qui s’orientait vers le palais présidentiel, les balles et les grenades lacrymogènes des forces de sécurité ont fait de nombreux blessés et plusieurs morts. (© Mohamed Khidir/Xinhua)

Article paru dans la revue Diplomatie n°117, « Les Balkans : l’autre poudrière de l’Europe ? », Septembre-Octobre 2022.
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