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Neutralité, reconnaissance ou intervention : le jeu diplomatique durant la guerre de Sécession

En octobre 1862, Napoléon III contacte ses homologues britanniques et russes et leur propose une intervention militaire conjointe aux États-Unis, alors déchirés par la guerre de Sécession (1861-1865) qui oppose les États du sud à ceux du nord restés dans l’Union. Alors que le nouveau président républicain Abraham Lincoln dirige les opérations de Washington, son objectif est de forcer les États du sud à réintégrer l’Union qu’ils ont quittée après son élection.

Basée à Richmond, en Virginie, la Confédération est composée d’États esclavagistes qui ont quitté l’Union. Ils reprochent à Lincoln de vouloir circonscrire l’esclavage là où il se trouve et d’en empêcher l’expansion. Les hostilités seront lancées en 1861 par le camp sud lors de la bataille de Fort Sumter du 12 avril. Le camp nord imposera peu après un blocus naval au Sud qui ne peut dès lors plus exporter sa production agricole. Or, le coton américain est essentiel à l’industrie textile européenne, ce qui explique l’initiative française proposée à Londres et à Moscou. Mais celle-ci sera rapidement mise de côté face à des soucis continentaux et la peur de s’aliéner l’Union, dont la production est tout aussi essentielle que celle du Sud. Cet incident illustre l’ambivalence européenne face à la guerre de Sécession, chaque puissance oscillant entre la reconnaissance de la Sécession et la neutralité quant au conflit.

Les relations diplomatiques de l’Union et de la Confédération seront menées dans un cadre général qui structure celles-ci. Malgré des événements ponctuels qui provoquent une montée des tensions entre les belligérants et leurs interlocuteurs sur la scène internationale, ce cadre va finalement maintenir la neutralité de l’Angleterre, du reste de l’Europe et des autres acteurs internationaux.

Un Sud qui néglige sa diplomatie

Tout au long du conflit, la Confédération espère obtenir soit un soutien militaire des Européens, soit une reconnaissance de l’indépendance des États qui la composent. Au contraire, l’Union fera tout afin de maintenir l’étranger en périphérie du conflit et attaquera la légitimité de son adversaire dans toutes les capitales européennes. À moyen et long terme, la neutralité des Européens permettra à l’Union de mobiliser ses ressources humaines et matérielles (1).

Dès le début du conflit, Washington et Richmond sont conscients de l’importance de la diplomatie. Les gouvernants se souviennent très bien de l’importance de l’intervention française au cours de la guerre d’Indépendance (1776-1783) contre l’Empire britannique. Toutefois, la diplomatie des belligérants diffère grandement. Alors que le Sud néglige la sphère internationale, le Nord y est très proactif.

Deux biais empêchent les élites confédérées d’investir efficacement la diplomatie au début du conflit. Richmond, par exemple, n’a pas de représentants à Saint-Pétersbourg avant 1862, ce qui est surprenant vue la proximité diplomatique des États-Unis et de la Russie à ce moment et surtout la quantité de coton qui y est exportée par le Sud. Cette négligence s’explique en partie par un biais culturel très répandu dans l’élite sudiste. Celle-ci est convaincue d’avoir des affinités avec l’aristocratie européenne qui faciliteront la reconnaissance de leur sécession par le Vieux Continent. Le système esclavagiste engendre une société fortement hiérarchisée dans laquelle l’élite, un peu comme la noblesse européenne, a une vie oisive caractérisée par les loisirs, la « culture » et le « raffinement ». Cette hiérarchie est maintenue par un système de castes dans lequel l’honneur individuel et familial est maintenu par les prouesses martiales des hommes qui règlent parfois leurs différents par un duel (2). Plusieurs dans l’élite sudiste sont également convaincus que leur cause s’inscrit dans celle qui a animé les révoltes de 1848 et qu’ils se battent pour la création de leur propre État où leurs libertés et surtout leurs propriétés — lire : les esclaves — seront protégées (3). Ceci est une très mauvaise perception. L’élite sudiste menée par les planteurs se rebelle lorsqu’elle se sent perdre la forte influence qu’elle exerce sur les institutions républicaines. Placée dans un contexte européen, cette révolte aurait eu pour objectif de rétablir l’Ancien Régime, littéralement une contre-révolution, comme l’affirme l’historienne Manisha Sinha. La Confédération est d’abord et avant tout un régime au service de l’élite des planteurs, qui maintient esclaves et tout Blanc sans esclave dans une position de subordination (4).

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