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Neutralité, reconnaissance ou intervention : le jeu diplomatique durant la guerre de Sécession

Ce biais culturel est renforcé par la conviction sudiste que l’Europe ne peut se passer de son coton. Très rapidement, Richmond obtient un embargo des États producteurs afin de forcer la main des Européens. Les manufactures britanniques sont particulièrement touchées à partir de 1862 alors que le prix du coton brut s’envole. L’impact de cet embargo est toutefois relativement faible. Les sanctions économiques prennent toujours du temps à avoir un effet alors que la Confédération n’a pas le luxe de faire traîner le conflit contre l’Union. L’embargo, renforcé par le blocus imposé par l’Union, est mis en place au moment où les entrepôts britanniques sont remplis non seulement de coton mais aussi de textiles. Le temps d’écouler le tout permet à l’Angleterre de se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement comme l’Égypte et l’Inde. Pire pour le Sud, de mauvaises récoltes rapprochent Londres de Washington qui devient un de ses principaux fournisseurs de blé. L’occupation graduelle de territoires sudistes par les forces nordistes renforce ce lien. À partir de ce moment, le Nord fait tout afin de fournir l’Angleterre avec la production des territoires occupés. Malgré cette évolution, il demeure que l’idée d’utiliser le coton comme un levier sur l’Europe est mauvaise. Dès le début de l’embargo, l’Europe tient le Sud responsable de la pénurie plutôt que le Nord (5).

Ces deux biais expliquent la négligence de Richmond dans la sphère diplomatique et plus particulièrement le manque de soin dans le choix de ses représentants à l’étranger. À Londres, William Lloyd Yancey et James Mason, son successeur, perdent rapidement l’oreille de leurs vis-à-vis britanniques qui sont dégoûtés par leur promotion de l’esclavage. Pudiquement surnommé « l’institution particulière », l’esclavage est la source principale des difficultés diplomatiques sudistes. En effet, malgré certaines sympathies pour la cause confédérée qui affaiblit les États-Unis de façon générale, le système esclavagiste rejeté par l’Europe depuis le début du XIXe siècle rebute l’ensemble des acteurs internationaux. Ce rejet est accentué par la centralité de l’esclavage dans la constitution confédérée. L’esclavage est clairement établi, la lutte à l’évasion des esclaves relève de Richmond, sans compter que le gouvernement doit non seulement protéger le régime mais en faire la promotion dans d’éventuelles acquisitions territoriales. À la lecture du document, il semble que la Confédération, créée au nom de la liberté des États qui la composent, a en réalité un gouvernement qui a le pouvoir de tout mobiliser pour défendre « l’institution particulière » et surtout la minorité qui en profite (6).

Dès le début du conflit, Richmond abandonne l’expansionnisme vers le sud. Le gouvernement cherche plutôt à créer une alliance avec les autres régions esclavagistes comme Cuba, propriété de l’Espagne, et le Brésil portugais. Même l’offre par deux régions mexicaines de se joindre à la Confédération est rejetée afin d’éviter la multiplication des fronts et maintenir des liens avec Mexico (7). Malgré de nombreuses tentatives, la Confédération n’arrive pas à obtenir le soutien de l’ensemble des Caraïbes ou de l’Amérique du Sud car on se souvient des velléités expansionnistes passées des Sudistes.

Une diplomatie nordiste plus efficace

La situation au nord est plus simple : maintenir Anglais et Français en périphérie du conflit plutôt que les convaincre d’intervenir. Formé depuis 1854, le Parti républicain n’a pas d’expérience diplomatique mais, pour reprendre la terminologie de l’historienne Doris Kearns Goodwin, la « ream of rivals  » (équipe de rivaux en français) recrutée par Lincoln apprend vite et, contrairement à ses homologues au sud, met en place des individus motivés et capables de s’organiser (8). Alors que William L. Dayton maintient d’excellentes relations dans le Paris de Napoléon III, Henry Shelton Sanford développe de Bruxelles un réseau de propagande et d’informateurs qui couvre l’ensemble de l’Europe. De même à Londres, où Charles Francis Adams, petit-fils du second président américain, rappelle sans cesse les conséquences de la violation du blocus de l’Union tout en adoucissant les menaces de William Henry Seward, secrétaire d’État et chef d’orchestre de la politique étrangère de l’Union.

Nommé par Lincoln, Seward est tout d’abord convaincu qu’il sera le véritable maître de la Maison-Blanche. Devant l’intelligence du président, le secrétaire d’État devient rapidement son plus fidèle et efficace subordonné. Son expansionnisme tous azimuts est remplacé par la prudence de Lincoln qui veut éviter la multiplication des fronts. La guerre simultanée contre la France et l’Espagne proposée par Seward en 1861 afin de réunir l’Union contre des ennemis étrangers montre l’impulsivité et l’énergie que contient Lincoln. Tout au long du conflit, Seward, encadré par le président, se présente à ses homologues européens comme un homme capable de tout, rappelant à ceux-ci les conséquences du non-respect du blocus imposé sur le camp sud et qu’il y aurait de graves conséquences après la victoire de l’Union.

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