Exploitant le sentiment de nostalgie à l’égard de l’ancien régime, le Pari destourien libéral (PDL) d’Abir Moussi cherche à regrouper les anciens militants et cadres benalistes autour de mots d’ordre à la fois autoritaires et démocratiques, dénonçant le pouvoir solitaire de Saïed. Paradoxalement, ce parti ouvertement benaliste jouit d’une assez forte capacité de mobilisation et apparait aujourd’hui comme l’un des principaux détracteurs de l’action du président de la République.
Il convient de compter également sur la centrale syndicale historique, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui est toujours la principale organisation de masse du pays. Bien que sa direction nationale ait adopté une position ambivalente à l’égard du pouvoir présidentiel, en soutenant le coup d’État du 25 juillet 2021, ses syndicats de base à l’échelon local et ses syndicats sectoriels dans les corps professionnels, proches des salariés et des citoyens ordinaires, sont susceptibles de constituer des foyers de contestation sociale, et ceci d’autant plus que la situation économique ne cesse de se dégrader. La Tunisie connait des pénuries de produits essentiels comme le sucre, le café, la farine, la semoule, etc., et des nouveaux plans de privatisation et de réduction des effectifs dans le secteur public se profilent dans les mois à venir, ce qui laisse augurer la reprise de mouvements de protestation sociale.
L’appel au peuple contre des élites réputées corrompues constitue toujours la principale ressource rhétorique du pouvoir présidentiel. Mais c’est une arme à double tranchant. Faute de politiques publiques cohérentes en matière sociale et économique, la popularité de Kaïs Saïed fondée principalement sur un discours complotiste et souverainiste pourrait s’éroder rapidement, voire se retourner contre lui.
Notes
(1) Michel Camau, « Un moment populiste tunisien ? Temporalité électorale et temporalité révolutionnaire », Revue tunisienne de science politique, vol. 1, n°3, Nirvana éditions, 2020, p. 65-98 (https://bit.ly/3TObAgX).
(2) Éric Gobe, « Le populisme de Kaïs Saïed comme cristallisation de la crise du régime parlementaire tunisien », 2022 (https://bit.ly/3VV1xsp).
(3) Éric Gobe, « La Tunisie en 2020 : les luttes politiques au temps du Covid-19 », L’Année du Maghreb, n°26, 2022, p. 301-327 (https://bit.ly/3TNl4t0).
(4) Cité par Mehdi Laghrari, « Tunisie : le virage autoritaire de Kaïs Saïed, en sept étapes », Les Échos, 25 juillet 2022 (https://bit.ly/3TSaX5V).
(5) Michel Camau, op. cit.
(6) Salsabil Klibi, « Brèves observations sur la constitution tunisienne du 25 juillet 2022 », JP Blog, le blog de Jus Politicum, revue internationale de droit constitutionnel, 9 septembre 2022 (https://bit.ly/3zarb2F).
Légende de la photo en première page : Le 23 octobre 2019 se déroulait, au Palais de Carthage, la cérémonie de prestation de serment du nouveau président élu à la tête de la Tunisie, Kaïs Saïed, pour succéder au défunt Béji Caïd Essebsi. Malgré un taux de participation franchissant de peu les 50 % et l’absence d’une structure partisane, il remporte l’élection avec 70 % des suffrages exprimés, distançant ainsi son concurrent clivant, Nabil Karoui. (© Khaled Nasraoui/DPA/dpa Picture-Alliance)