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Les racines de l’identité nationale ukrainienne

L’idée nationale depuis l’indépendance de 1991

Au cours des dernières années de l’existence de l’URSS, l’opinion dominante militait pour un abandon à la fois des idées communistes mais aussi de l’idéologie du nationalisme ukrainien radical. Il y a donc eu un retour aux slogans démocratiques du mouvement national ukrainien d’avant 1917, en remplaçant en même temps le concept ethnique de la nation par un concept civil (politique), c’est-à-dire que tout le monde peut être Ukrainien, quelle que soit sa langue, son origine ethnique ou religieuse, dans la mesure où il est fidèle à l’Ukraine. L’un des leaders idéologiques de cette évolution fut Ivan Dziuba.

L’indépendance ukrainienne

Cette transformation de l’idéologie nationale explique pourquoi tant d’habitants de l’Ukraine — 90 %, dont la majorité dans le Donbass et la Crimée — ont soutenu l’idée de l’indépendance de l’Ukraine lors du référendum ukrainien du 1er décembre 1991. Cela explique également comment Volodymyr Zelensky, un Juif russophone du Sud de l’Ukraine, a pu devenir président du pays.

L’histoire des trente premières années de l’indépendance de l’Ukraine peut en grande partie être décrite comme une confrontation entre ces deux concepts : ethnique et civil. Le premier avait le plus de partisans parmi les habitants de l’ouest ukrainien, le second parmi les habitants de l’est russophone. À certains moments, comme lors des élections présidentielles de 1994 et de 2004, cet affrontement a atteint un tel niveau de tension qu’il semblait que l’Ukraine était au bord de la guerre civile. La question clé était le statut de la langue russe en Ukraine. Ce schisme a été habilement manipulé par le Kremlin qui, en incitant son usage, entendait affaiblir au maximum l’Ukraine et la ramener sous son contrôle.

Cette manipulation passait notamment par le maintien d’une nostalgie de l’URSS, l’établissement d’un régime autoritaire comme en Russie et en Biélorussie, mais aussi par la création d’une union entre Moscou, Minsk et Kyiv en opposition à l’UE et à l’OTAN. Les tentatives d’introduction d’un tel régime en Ukraine ont été associées à Viktor Ianoukovitch et ont conduit à deux reprises à des manifestations de masse, lors de la révolution de Maïdan en 2004 et de l’Euromaïdan en 2014. Ces deux événements ont donné lieu à des alliances entre différents ennemis politiques, comme notamment les démocrates nationaux et les communistes lors du Maïdan, ou les libéraux et les nationalistes pendant l’Euromaïdan.

D’autre part, la profonde transformation de la société ukrainienne après la chute du communisme a conduit à l’émergence de l’Ukraine du centre, à la fois politiquement et géographiquement. Le symbole de cette Ukraine est Kyiv où se sont déroulés les deux Maïdans et où s’est développée une nouvelle classe moyenne, représentée par les jeunes employés de l’économie des services.

L’émergence d’une nouvelle génération et d’une solidarité étonnante

L’émergence de cette nouvelle génération est l’une des principales réalisations de l’indépendance ukrainienne et Volodymyr Zelensky en est le représentant. L’arrivée de Zelensky est devenue possible parce que l’Ukraine, contrairement à la Russie, dispose d’un mécanisme politique de rotation permanente du pouvoir. Les dirigeants en Ukraine changent après chaque élection.

L’Ukraine face à la guerre civile russe (1917-1923)

L’émergence de cette génération et la démocratisation de l’Ukraine sont devenues l’une des principales raisons de l’agression militaire de Poutine contre l’Ukraine. Cette génération ne se souvient pas de l’URSS et ne ressent pas la nostalgie soviétique, ne montre pas beaucoup d’empathie pour la Russie et veut s’exprimer comme ses pairs en Occident. De plus, l’expérience des élections ukrainiennes a convaincu Poutine que quiconque arrivera au pouvoir à Kyiv renforcera l’indépendance ukrainienne et tournera l’Ukraine vers l’Europe.

Le plan d’agression militaire contre l’Ukraine a été mis en œuvre immédiatement après la victoire de l’Euromaïdan en 2014. Cependant, les calculs de Poutine selon lesquels la population russophone de l’Est de l’Ukraine accueillerait l’armée russe avec des fleurs se sont avérés erronés. En effet, bien que la majorité des habitants locaux parlent le russe, il se sentent Ukrainiens et se rangent du côté de Kyiv.

C’est un autre paradoxe ukrainien : les Ukrainiens sont peut-être fortement divisés sur les questions linguistiques ou mémorielles, mais ils font preuve d’une solidarité étonnante face à une menace extérieure, en particulier depuis l’annexion russe de la Crimée en 2014.

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