L’explication de ce paradoxe réside en grande partie dans la mémoire historique. Au XXe siècle, l’Ukraine était au centre de deux guerres mondiales et a subi de lourdes pertes à cause de la terreur soviétique et nazie. Selon des estimations approximatives, entre 1914 et 1945, un homme sur deux et une femme sur quatre sont décédés de mort violente sur les terres ukrainiennes. L’élément central de la mémoire historique ukrainienne était l’Holodomor de 1933-1934, la famine artificielle, qui a tué environ 4 millions d’Ukrainiens. Le souvenir de cette catastrophe fait partie intégrante de la mémoire familiale des populations russophones de l’est du pays. Elle considère Moscou comme responsable de cette famine ainsi que de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, et craint donc une répétition de ces événements.
La stratégie des élites ukrainiennes et de la société ukrainienne est de surmonter le passé avec ses désastres et ses traumatismes, en contraste avec la politique de Poutine, qui tente de ramener la Russie dans le passé de l’empire soviétique. L’Ukraine fait preuve d’une endurance et d’un courage incroyables depuis le début de la guerre contre la Russie, mais elle n’aurait eu aucune chance de survivre sans l’aide de l’Occident. Cette aide est l’un des tournants les plus radicaux de l’histoire ukrainienne. Jusqu’à présent, la lutte pour la libération ukrainienne n’obtenait pas de soutien en Occident, le mouvement national ukrainien étant associé à la germanophilie, au nationalisme meurtrier et à l’antisémitisme. Avec la transformation de la nation ukrainienne, son image a également changé, et sa lutte pour son indépendance est aussi une lutte pour une nouvelle Europe et un monde nouveau.
Note
(1) Terme dérivé du nom de Stepan Bandera, chef de l’OUN, désignant les membres d’un groupe d’organisations d’extrême droite en Ukraine.
Légende de la photo en première page : Mémorial aux victimes du Holodomor [littéralement « extermination par la faim » en ukrainien] à Kyiv, grande famine orchestrée par Staline en 1932 et 1933, ayant tué entre 3 et 5 millions d’Ukrainiens et dont le souvenir fait partie intégrante de la mémoire familiale des populations russophones de l’Est de l’Ukraine, ainsi qu’un élément central de la mémoire historique ukrainienne. (© Shutterstock)