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La guerre d’Ukraine redéfinit-elle l’emploi des drones à la mer ?

Si l’emploi de drones de surface relève là de l’hypothèse, il en revanche avéré dans l’attaque combinée menée sur Sébastopol le 29 octobre. Plusieurs USV – jusqu’à sept sont évoqués – ont été engagés dans des actions à la mer, mais aussi dans la rade de la base, en conjonction avec des drones aériens dont le type n’a pas été précisé. Sur les images rendues publiques par la défense ukrainienne, on distingue ainsi trois phases :

un USV, dont le capteur opère en infrarouge, s’approche d’une frégate de classe Grigorovitch, jusqu’à une distance qui permettrait de déclencher les contacteurs contre sa coque, à peu près au niveau de la cheminée du bâtiment russe ;

une autre séquence de la vidéo montre plusieurs proues de navires, manifestement dans la rade de Sébastopol ;

une troisième séquence montre un drone se dirigeant vers ce qui semble être un LST de type Ropucha ou une Grigorovitch à la mer, mais il est pris sous un feu d’artillerie, tout en étant pris en chasse par un Mi-17 russe et est détourné du bâtiment. C’est probablement ce drone qui a été annoncé comme détruit par la Russie.

Au bilan de l’attaque, Moscou reconnaît qu’un démineur de type Natya a été touché dans la rade, tout comme des dommages sur la mâture d’une frégate – sans cependant évoquer de dommages à la coque, et sans que l’on ne sache s’il s’agit d’une autre frégate (5). Plusieurs explosions ont par ailleurs été entendues dans la base navale, mais aussi observées via les vidéos de surveillance de la ville. Tout n’est donc pas encore connu de l’attaque du 29 octobre, mais elle pose évidemment la question de l’absence de préparation des forces russes, qui avaient pourtant connaissance de la probabilité de telles actions. Elle montre également la pression à laquelle sont soumises les forces russes sur leurs bases en Crimée, avec des résultats qui sont loin de se limiter à la destruction du Moskva. Les capacités de l’aéronavale ont ainsi été réduites de 50 % après des frappes sur les bases aériennes de Saky et de Hvardiiske, respectivement les 9 et 16 août.

Implications stratégiques

S’il s’agit d’une nouvelle illustration du fait qu’une marine aux capacités de combat de surface virtuellement anéanties peut infliger des dommages à une marine nettement plus puissante et qui est censée avoir la maîtrise des mers (6), il y a sans doute bon nombre de leçons à tirer en termes de guerre navale. L’usage de vedettes-­suicides n’a rien de neuf. En Italie fasciste, la Decima flottiglia motoscafi armati siluranti (Decima flottiglia MAS) avait développé une série de systèmes pilotés permettant de frapper des navires au port, non sans succès, notamment à Alexandrie en décembre 1941. De même, les Tigres tamouls ont été capables de disposer de systèmes destinés aux Black Sea Tigers, avec des succès contre la marine sri-­lankaise (7). En janvier 2017, les Houthis ont ciblé et atteint une frégate saoudienne en mer, et ont intensifié ensuite leurs tentatives, notamment en 2020. Dans tous ces cas de figure, on avait cependant affaire à des embarcations pilotées. Cela pose évidemment une série de contraintes en termes de volontariat, de design (notamment la hauteur et donc la furtivité visuelle) et d’endurance à la mer.

Or l’usage d’un télépilotage change la donne. Paradoxalement, l’exemple le plus proche des USV ukrainiens pourrait être les Fernlenkboot allemands de la Première Guerre mondiale. L’idée était de disposer de bateaux de surface, discrets, de 17 m de long et capables d’embarquer environ 700 kg d’explosifs. Ils étaient filoguidés depuis la côte, partant du principe qu’ils seraient utilisés contre les navires alliés menant le blocus des côtes allemandes. Concrètement, un avion assurait l’éclairage et donnait par radio les ordres de guidage du drone. Au sol, les opérateurs effectuaient les manœuvres demandées, le câble de commande faisant 20 km de long. Le système, peu pratique, n’a permis de toucher que le HMS Erebus, sans cependant le couler. L’idée sera reprise avec les Linsen, durant la Deuxième Guerre mondiale. Cette fois, l’embarcation était pilotée. Une fois la cible en vue, le pilote sautait à la mer. Un autre navire le récupérait, mais surtout télécommandait le bateau sur sa cible.

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