Magazine Moyen-Orient

L’échec du processus américain de démocratisation en Afghanistan

Avec le retour au pouvoir des talibans en août 2021, la trajectoire de démocratisation de l’Afghanistan post-2001 a été stoppée net. Entre 2001 et 2021, ce processus mené par les États-Unis a été une expérience politique malheureuse, contrôlée par des réseaux ethniques et régionaux de technocrates formés en Occident et des élites politico-militaires locales se disputant l’accès aux ressources de l’État. Alors que l’insurrection menaçait ce processus, la promotion de la démocratie – souvent réduite à la tenue d’élections théâtrales – n’avait pratiquement aucun succès auprès des Afghans.

Après avoir renversé le premier régime taliban (1996-2001), les forces dirigées par les États-Unis et leurs alliés locaux ont ouvert la voie à une transformation politique radicale dans ce pays déchiré par les guerres. La communauté internationale a concentré ses efforts pour rassembler les dirigeants non talibans, formant une classe d’élites exclusive. Elle réunissait, d’une part, les chefs de l’Alliance du Nord, principalement des Tadjiks, des Hazaras et des Ouzbeks, qui ont aidé les Américains à renverser les fondamentalistes, et, d’autre part, les élites pachtounes éduquées, qui avaient pris le chemin de l’exil, notamment aux États-Unis. Les premiers tiraient leur légitimité des réseaux ethno-régionaux en temps de guerre dans un nord du pays majoritairement non pachtoune. Les autres s’appuyaient sur le soutien d’acteurs externes et ont ensuite utilisé de façon clientéliste les ressources de l’État pour créer des circonscriptions sur des bases ethno-régionales dans le sud. Ces deux réseaux ont façonné l’ordre politique post-2001, tout en étant tributaires de l’aide militaire et financière de la communauté internationale.

Des objectifs ambitieux ont motivé les efforts menés par les États-Unis : la construction d’un système de gouvernement présidentiel centralisé qui gagnerait en légitimité grâce à des élections démocratiques et étendrait son pouvoir à travers le pays. Ce projet prévoyait un exécutif qui assurerait la sécurité et la bonne gouvernance à la population, garantissant la paix et la stabilité. Cette vision éludait les structures de pouvoir sous-jacentes dans une société décentralisée et divisée.

Des élections libres, une solution de paix ?

Dans un régime démocratique, les élections peuvent servir de dispositifs pour constituer l’autorité politique, légitimer l’exercice du pouvoir et permettre l’alternance des élites dirigeantes sans effusion de sang. Dans un pays profondément divisé et touché par un conflit prolongé, à l’instar de l’Afghanistan, les premiers scrutins sont souvent considérés comme un élément crucial pour parvenir à la paix et à la stabilité. Cela est particulièrement vrai lorsque la transition d’une guerre à une gouvernance inclusive est accomplie et lorsque les élections élargissent la base de la participation politique et permettent l’expansion du droit de vote ou de la représentation. C’est pour cela que les décideurs internationaux impliqués dans la reconstruction d’un État postconflit veulent organiser ces élections tôt, afin de profiter du consensus observé entre les principaux acteurs au moment de signer la paix. Dans cette optique, les élections sont considérées comme le début de l’institutionnalisation démocratique.

L’expérience en Afghanistan – avec quatre scrutins présidentiels en 2004, 2009, 2014 et 2019 – jette une ombre sur cette thèse. Car ces scrutins ont servi d’arène de compétition intense pour l’accès aux rentes, aux ressources et aux positions entre les élites. L’effet de légitimation dans des contextes de divisions ethniques et de traumatismes postconflit a été surestimé par les promoteurs de la démocratie, car la légitimité politique n’est pas atteinte par la simple promulgation d’une démocratie représentative constitutionnelle procédurale. Au contraire, la légitimité conférée dépend du statut de « gagnant-perdant », en particulier dans le système du « gagnant qui gagne tout ». Par exemple, les électeurs dont les candidats préférés ne remportent rien ont une évaluation négative de la légitimité du gouvernement et seraient réticents à coopérer volontairement.

Le manque de confiance en l’expérience électorale afghane pourrait être attesté par la tendance persistante à la baisse de la participation : 83,6 % en 2004, 31,5 % en 2009, 33,6 % en 2014 et 18,8 % en 2019. Alors que les Pachtounes sont traditionnellement la force politique dominante depuis la formation de l’État afghan en 1880, à la suite de la deuxième guerre anglo-afghane (1878-1880), les quatre dernières décennies de conflits (1979-2021) en Afghanistan ont créé des conditions propices à la montée d’élites politico-militaires non pachtounes qui opèrent souvent selon des lignes ethno-régionales et se repositionnent constamment dans le paysage politique instable. L’évolution après 2001 a accru la demande d’un meilleur accès au pouvoir, aux ressources et à la reconnaissance, ce qui a amplifié les risques de fraudes et de violences.

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