L’imposant édifice n’est pas sans faille puisque, d’une part, l’architecture du complexe reconnaissance/frappe ne s’étend pas à l’ensemble des unités, loin de là, alors que, d’autre part, des systèmes comme l’Orlan-10 ne fonctionnent pas ou fonctionnent mal sous des températures négatives du fait de leurs composants électroniques non militarisés. Enfin, l’écrasante majorité des effecteurs est héritée des parcs issus de la défunte Union soviétique et très peu d’équipements peuvent être qualifiés de récents.
Les canons de Kiev
Si l’ordre de bataille et les parcs de l’artillerie ukrainienne avant – guerre ont déjà été présentés dans ces colonnes (2), il est nécessaire de rappeler que les Ukrainiens détiennent un atout maître sous la forme du système de gestion tactique Kropiva (« Ortie »), aussi connu sous le nom de « GIS Arta », largement diffusé au sein de la troupe. Il offre une très grande flexibilité et une tout aussi grande décentralisation dans l’appel aux appuis – feu, le signalement de cibles et, de manière générale, le partage des informations récoltées par les différents capteurs.
En outre, les inventaires ont beaucoup changé avec les livraisons d’armes lourdes otaniennes même si celles-ci ont partiellement été constituées d’équipements de conception soviétique ou assimilés (2S1 Gvozdika, BM-21, Dana et RM-70) aisément assimilables par une armée dotée d’équipement identiques.
Rapidement cependant, l’OTAN, Américains en tête, a débuté la livraison d’équipements d’artillerie au standard otanien. Au moins 110 obusiers autopropulsés de 155 mm et plus de 200 canons tractés de 105 et de 155 mm ont ainsi été réceptionnés. En parallèle, les Ukrainiens ont reçu plusieurs dizaines de radars de contre – batterie et de drones de reconnaissance tactique, renforçant d’autant leur capacité à détecter puis à engager les cibles adverses.
Ces livraisons ont plus que compensé les pertes documentées en canons et MLRS depuis le début de la guerre. Qualitativement, et même si une partie des matériels livrés est obsolète, à l’image des M-101 et M-114, la montée en gamme est très significative puisque des systèmes comme le Krab, le CAESAR ou encore le M-777 sont considérés par les Ukrainiens comme bien supérieurs à des matériels comme le 2S19 MTSA-S ou le 2A65 MSTA-B, notamment du fait de l’efficience de leurs systèmes de conduite de tir.
Les explosifs occidentaux sont également plus puissants, car issus de procédés chimiques industriels plus complexes que ceux en usage dans les usines russes. Tout cela se paie cependant par une complexification de la chaîne logistique puisque deux calibres différents (105 et 155 mm) viennent s’ajouter aux trois déjà existants (122, 152 et 203 mm) tandis que pas moins de cinq nouveaux modèles distincts de canons automoteurs sont entrés en service.
De Kiev au Donbass
L’artillerie a joué un rôle fondamental dès les premiers jours de la guerre, et ce tout particulièrement dans le nord du pays, où, du côté ukrainien, elle compléta à merveille l’infanterie. La 36e Armée combinée en particulier, qui avança vers Kiev depuis la Biélorussie le long de la rive ouest du Dniepr et devait manœuvrer dans des espaces contraints, souffrit immensément aux mains des canonniers ukrainiens. Durant les premiers jours, plusieurs groupes tactiques bataillonnaires (BTG) russes avançant en colonne furent décimés après avoir dans un premier temps été stoppés par une embuscade avant d’être soumis à un pilonnage en règle. De l’aveu d’un officier supérieur ukrainien « les missiles antichars ont ralenti les Russes, mais ce qui les a tués fut notre artillerie. C’est elle qui brisa leurs unités (3) ». Les artilleurs russes étaient eux à la peine, souvent bloqués très en arrière du front dans les innombrables bouchons induits par le peu d’axes routiers praticables et surtout manquant d’informations quant à la localisation des forces ennemies. Le retrait des forces russes du nord du pays à la fin du mois de mars puis leur redéploiement dans le secteur du Donbass allait accentuer encore plus le rôle joué par l’artillerie.