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Quel avenir pour le tabou nucléaire ?

Nous vivons toujours dans un monde nucléaire – en fait, un monde avec moins d’armes atomiques comparativement à 1989. Mais nous vivons aussi dans un monde largement perçu comme plus dangereux, à cause de la guerre en Ukraine, qui a une « ombre nucléaire », mais aussi à cause des programmes iranien et nord-­coréen. Le tabou nucléaire est-il toujours d’actualité ?

Oui, le tabou nucléaire est toujours bien vivant. Les menaces nucléaires répétées des dirigeants russes ont certainement défié le tabou et lui ont mis la pression. Mais la communauté internationale, y compris les dirigeants d’autres États dotés d’armes nucléaires, tels que le président chinois Xi Jinping et le dirigeant indien Narendra Modi, ont condamné ces menaces et déclaré à Poutine qu’il serait inacceptable d’utiliser des armes nucléaires. Poutine s’est vu rappeler par tout le monde – ses conseillers, les États-­Unis, l’OTAN, d’autres dirigeants mondiaux – qu’il n’y aurait aucune valeur militaire à utiliser des armes nucléaires contre des cibles ukrainiennes. Le 4 novembre, Xi Jinping a déclaré que la communauté internationale devrait « s’opposer conjointement à l’utilisation ou à la menace d’utiliser des armes nucléaires  ». Le Groupe des 20 a convenu le 16 novembre lors de son sommet en Indonésie que les menaces et l’utilisation d’armes nucléaires étaient « inadmissibles ». Poutine a finalement été contraint de renoncer à ses menaces nucléaires. « Nous n’en voyons pas la nécessité, a-t-il dit en octobre 2022. Cela n’a aucun sens, ni politique ni militaire. » Ainsi, alors que le tabou nucléaire est sous pression aujourd’hui, il est toujours vivant.

La Corée du Nord continue de développer son programme nucléaire et l’accord nucléaire iranien s’est effondré. L’Iran ne possède pas actuellement d’armes nucléaires, mais il semble rechercher une capacité à enrichir de l’uranium de qualité militaire. Pourtant, les dirigeants iraniens ont déclaré à plusieurs reprises que les armes nucléaires étaient « non islamiques  ». Le Guide suprême du pays, l’ayatollah Ali Khamenei, a émis en 2004 une fatwa décrivant l’utilisation des armes nucléaires comme immorale. Dans un sermon ultérieur, il a déclaré que le développement, la production ou le stockage d’armes nucléaires étaient « interdits par l’islam ». En 2008, il l’a répété après une rencontre avec le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohammed El Baradei. Nous ne pouvons prendre les Iraniens au pied de la lettre, bien sûr. Mais cela suggère que les dirigeants iraniens ont une certaine conception du tabou nucléaire.

Le tabou nucléaire et la dissuasion dépendent intrinsèquement des perceptions d’une utilisation nucléaire potentielle. Ils sont tous deux très politiques, mais mon sentiment est qu’ils ont une relation distincte avec la stratégie nucléaire en tant que pratique, qui implique des représailles si un État nucléaire est ciblé. Peut-on sauver la logique et la pertinence d’un tabou nucléaire même s’il n’y a pas de représailles ?

Oui. Le tabou nucléaire peut influencer les calculs sur les représailles nucléaires. Techniquement, le tabou (du moins tel que je l’ai écrit à ce sujet) est une norme contre la première utilisation d’armes nucléaires. Il a moins à dire sur les représailles nucléaires en réponse à une attaque nucléaire (ce qui semble plus légitime). Néanmoins, il existe de bonnes raisons pour qu’un État doté d’armes nucléaires puisse s’abstenir de riposter avec des armes nucléaires même en réponse à une première utilisation d’armes nucléaires par l’adversaire, surtout s’il possède des forces conventionnelles adéquates. Par exemple, l’administration Biden a clairement indiqué que si la Russie utilisait une arme nucléaire en Ukraine, les États-Unis répondraient par des attaques conventionnelles écrasantes contre des actifs russes partout (navires russes en mer Noire, installations militaires en Russie et ailleurs, et ainsi de suite). Les États-Unis ne répondraient pas par une frappe nucléaire de représailles. C’est une stratégie importante pour éviter l’escalade vers une guerre nucléaire totale, mais c’est aussi un moyen de maintenir le tabou nucléaire. Si l’on essaie de stigmatiser un comportement (utilisation d’armes nucléaires), il faut éviter de s’engager soi-­même dans ce comportement.

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