Dès le mois d’août 2018, dans un contexte de tensions internationales croissantes, le président Emmanuel Macron évoquait devant les ambassadeurs de France réunis à Paris son souhait de faire de la France une « puissance médiatrice » dans le monde (1). Depuis, il a de nombreuses fois employé le mot de « médiation » pour décrire ses ambitions initiales dans les jours précédant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et lors du début de la guerre. Il l’emploie encore de temps en temps aujourd’hui, soit pour signifier que l’espoir que la France joue ce rôle dans le conflit russo-ukrainien n’a pas disparu, soit pour encourager d’autres pays à participer à un effort collectif dans ce sens.
Lorsqu’on regarde plus précisément à quoi le président français associe concrètement l’idée d’une France « médiatrice » dans son discours public, on remarque que c’est souvent au fait de parler avec Vladimir Poutine, c’est-à‑dire de ne pas rompre la communication diplomatique avec la Russie dans la guerre. Il demande notamment régulièrement, face aux remarques ou aux critiques, si c’est une bonne chose qu’au sein de l’OTAN seule la Turquie continue « à parler avec la Russie ». Le rôle de médiateur dans les relations internationales serait ainsi une sorte d’attitude diplomatique sans spécificité particulière autre que le maintien de la communication politique dans le conflit. Lorsqu’il a envisagé, lors de la réunion du G20 en novembre 2022, que la Chine « joue un rôle de médiation plus important dans la guerre en Ukraine », il a précisé qu’il existerait « un espace de convergence, y compris avec les grands émergents comme la Chine et l’Inde, pour pousser la Russie à la désescalade (2) ». Cette fois, la médiation est associée à l’idée d’exercer une pression diplomatique sur un acteur étatique impliqué dans un conflit pour l’inciter à modifier les modalités de son action.
Qu’en est-il réellement de l’idée de médiation, qu’elle soit politique, nationale ou internationale, ou qu’elle concerne des conflits sociaux civils divers ? Se confond – elle avec la discussion ou la négociation diplomatique ? Quelles sont les caractéristiques du rôle de médiateur et les conditions de possibilité de mise en route d’un processus de médiation ? Tous les conflits ou tous les éléments au sein d’un conflit sont-ils passibles d’un règlement par la voie de la médiation ? Au bout du compte, que révèle l’ambition médiatrice de la France dans la guerre en Ukraine des ambiguïtés ou des ambivalences politiques de la position française, au moins sur le plan discursif ?
Le terme de médiation est depuis quelques années à la mode, mais ses usages ne sont pas toujours très rigoureux. L’intervention de tiers dans les conflits est sans doute aussi ancienne que l’humanité, mais, au XXe siècle, elle est progressivement devenue une pratique à part entière et une fonction qui tend à s’autonomiser et à se professionnaliser, dans des secteurs extrêmement divers de la vie sociale, à l’intérieur ou à l’extérieur des sociétés. Elle participe du développement des modes alternatifs de résolution des conflits, qui a pris son essor aux États – Unis dans les années 1960-1970, au vu des délais et des coûts exorbitants des procédures judiciaires. L’« alternative » renvoie donc de manière générale à la justice ou à la violence. Ces modes alternatifs de résolution des conflits sont souvent confondus dans le langage courant, mais présentent pourtant des différences. L’arbitrage est une procédure par laquelle des parties soumettent un litige à une personne désignée d’un commun accord. L’arbitre tranche le litige ; il est un type de juge, ce que le médiateur n’est pas. La conciliation est une procédure de facilitation de sortie des conflits par laquelle le conciliateur propose un règlement amiable aux parties, libres ou non de l’accepter. La négociation est la recherche d’un accord entre parties procédant par concessions mutuelles – ce qui ne signifie pas nécessairement symétriques ou équilibrées. Elle n’implique pas en elle – même l’intervention d’un tiers, mais celui-ci peut être présent comme représentant d’une partie en conflit ou comme intermédiaire. Enfin, la médiation est « une intervention extérieure impartiale, offerte à des parties en conflit ou sollicitée par celles-ci pour organiser des échanges en vue de construire des solutions mutuellement acceptables (3) ».
La médiation est ainsi l’intervention d’un tiers entre deux ou plusieurs parties en conflit et qui tente de faciliter la négociation entre elles en vue d’aboutir à une solution pacifique. « Le mot médiateur exprime assez bien la fonction : elle consiste proprement à se mettre au milieu pour faire rapprocher les parties qui se sont éloignées (4) ». Elle est un recours possible lorsque les parties ne peuvent seules, au stade de leur conflit, négocier directement entre elles, pour diverses raisons : impossibilité légale ou politique, relations trop dégradées, absence totale de confiance, problème de fond trop complexe, etc. Elle ne repose sur aucune contrainte externe s’imposant aux parties. Lorsque celles-ci décident d’y avoir recours, c’est librement et parce qu’elles y voient un intérêt spécifique à un niveau matériel, politique ou relationnel, ou parce que le processus proposé est meilleur (ou moins mauvais) à leurs yeux que les alternatives qu’elles entrevoient par ailleurs. Ce ne peut donc en aucun cas être le tiers médiateur qui décide de l’intérêt et de l’opportunité d’une médiation pour les parties. Il pourra être convaincu qu’une médiation est nécessaire pour rétablir ou créer des conditions favorables à des négociations qui sont la seule véritable solution au conflit, mais si les parties en décident autrement, il ne dispose d’aucun pouvoir pour imposer ses vues.