Le 14 octobre 2020, des négociations indirectes entre Israël et le Liban se sont tenues au quartier général de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), dans la ville libanaise de Naqoura, à quelques kilomètres de la frontière. Négociations indirectes, car le Liban ne reconnaissant pas l’État hébreu, les deux délégations ont échangé leurs arguments par le biais d’un médiateur, les États-Unis. Si cet événement a eu lieu, c’est en raison de l’importance des enjeux : la délimitation des frontières maritimes puis terrestres entre les deux pays, et donc l’attribution de réserves de gaz naturel de cette région de la Méditerranée.
La résolution de cette question devient urgente pour les deux voisins, particulièrement pour le Liban. Le potentiel gazier lui permettrait de sortir du marasme économique dans lequel il est depuis 2019 : perte de 90 % de la valeur de la livre libanaise, effondrement d’environ 40 % du PIB par habitant, une dette publique qui frôle les 100 milliards de dollars, une inflation à plus de 80 % et une prévision de décroissance à presque - 10 % du PIB en 2021. Une partie du salut libanais pourrait se trouver en mer grâce au potentiel énergétique du bassin levantin ; un scénario qui n’était pas envisageable il y a encore une quinzaine d’années, tant cette Méditerranée orientale a fait l’objet d’un désintérêt quasi général de la part des pays riverains, en particulier du Liban.
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, avec l’amélioration des progrès techniques dans le domaine de l’exploration offshore, de nombreux États côtiers dans le monde commencent à revendiquer des droits toujours plus loin en mer pour s’approprier des ressources énergétiques. Ce n’est pas le cas des riverains de la Méditerranée orientale, qui se préoccupent peu de leur territoire maritime. Certains, comme la Turquie et Israël, commencent dès les années 1960 à l’explorer, mais à quelques kilomètres des côtes seulement et en vain. L’idée prédomine alors que le bassin levantin est dépourvu de ressources énergétiques, à l’image de la plupart des territoires qui le bordent. Preuve de ce désintérêt : jusqu’au début des années 2000, aucun riverain ne délimitera officiellement sa zone économique exclusive (ZEE) comme le permet pourtant depuis 1982 le droit de la mer (convention de Montego Bay). Cet espace juridique donne en effet aux États qui le réclament le droit d’exploiter les ressources de leur territoire maritime adjacent.
La Méditerranée orientale, un intérêt stratégique tardif
Comment expliquer une telle indifférence ? L’absence de perspectives énergétiques a déjà été évoquée, mais il faut aussi rappeler que pour les pays riverains, les enjeux géopolitiques de la région se situent alors exclusivement sur terre, où l’on s’affronte encore farouchement pour conquérir et contrôler des territoires (1).
Au début des années 1990 cependant, l’intérêt pour la Méditerranée orientale évolue avec l’arrivée de compagnies pétrolières anglo-saxonnes, attirées par le potentiel énergétique du bassin levantin. Ces dernières disposent en effet d’importants capitaux et de moyens techniques plus performants qui leur permettent de sonder plus profondément et plus loin des côtes le plateau continental de la région.
De premières découvertes de gaz ont lieu à quelques kilomètres du delta du Nil et des études encourageantes laissent penser que d’autres gisements se trouveraient beaucoup plus au large des côtes égyptiennes, au cœur de cette Méditerranée orientale. Anticipant un risque de conflit frontalier, l’Égypte et la République de Chypre entament aussitôt des négociations pour délimiter leur frontière maritime : le premier accord est ainsi conclu en 2003. Compte tenu de sa situation géographique au centre du bassin levantin, Nicosie décide de clarifier ses frontières maritimes avec ses autres voisins. Un deuxième accord est signé avec le Liban en 2007, puis un troisième avec Israël en 2010.