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« Nous assistons au grand retour de l’art opératif »

Cela renvoie à un autre invariant : l’hybridité, dans les moyens et les modes d’action. Dans une certaine mesure, nous la subissons, parce que nos armées occidentales sont en transition capacitaire, avec du matériel moderne et du vétuste qui coexistent.

Mais l’hybridité est aussi choisie, car nous voulons exploiter les nouveaux facteurs de supériorité opérationnelle. Nous entrons dans l’ère du « Multimilieu multichamps » (M2MC) qui prévoit de combiner des capacités nouvelles : je pense au cyber et au champ immatériel, et à d’autres moyens, désormais plus classiques, mais devenus extrêmement performants, comme les drones ou les feux en profondeur, de type HIMARS.

Cela va conduire à un changement d’échelle : la guerre ne se mènera plus aux niveaux de la compagnie ou du bataillon, mais à ceux de la division et du corps d’armée, avec un enjeu d’action et de commandement en profondeur, avec tout ce que cela implique en matière de soutien ou de communications. Changement d’échelle dans le temps aussi, car il faut comprendre la haute intensité comme de la « longue intensité », avec un enjeu de résilience logistique qui implique de basculer d’une logique de flux à une logique de stocks rapidement disponibles.

Si nous en sommes à manœuvrer des corps d’armée ou des divisions, la bonne nouvelle est que nous ne serons sûrement pas seuls ! C’était déjà le cas au Sahel ou au Levant avec la D‑ISIS. Cela le sera plus encore en cas de conflit majeur conventionnel. C’est pourquoi notre capacité à fédérer une coalition est clé, de même que notre place au sein de l’OTAN et notre capacité à y tenir le rôle de nation – cadre, comme nous le faisons en Roumanie.

Il est aujourd’hui question dans les débats de « bulle d’hypertechnologie » cherchant à faire levier par nos avantages comparatifs et, plus largement, d’approche capacitaire. Cela a pour conséquence de tacticiser notre perception. Quelle doit être la place de l’opératif – le niveau comme l’art – dans les conflits futurs ?

Je vous rejoins sur ce constat. Ce sujet a longtemps été délaissé, car la gestion de crise incitait à une approche plus stratégico – tactique, avec un contrôle fortement centralisé des opérations. Mais c’est aussi parce qu’il s’agissait d’« opérations de pointe », limitées et à forte portée médiatique. Nous sommes aujourd’hui les spectateurs d’un monde qui change. Le « pivot » vers l’Europe de l’Est signe le retour des grands conflits conventionnels et, partant, des grandes campagnes qui sont le cadre de l’art opératif, qu’il s’agisse de guerre de mouvement (augmentation de la létalité et du tempo) ou de guerre de position (densification des stocks, recherche d’épaisseur stratégique).

Il est significatif que, dans sa mue, l’armée de Terre française place son effort sur les commandeurs de niveau corps d’armée et division, après avoir fait effort pendant une dizaine d’années sur le niveau du régiment. Donc oui, nous assistons au grand retour de l’art opératif, mais ce grand retour avait été pressenti dans la montée en puissance de l’armée de Terre.

L’objectif pour les forces terrestres sera d’être capables, en combinant des effets interarmées au niveau du corps d’armée, de provoquer des fenêtres de supériorité ponctuelle. La guerre ne sera pas que l’affaire de la ligne des contacts, elle se déroulera aussi dans une zone arrière (« rear ») qu’il faudra maîtriser et surtout une zone profonde (le « deep ») où il faudra être capable d’agir dans la durée comme d’entrer de plain – pied. Il faut donc restaurer, parfois réapprendre, les métiers de la division et la maîtrise du commandement/contrôle (C2). Certains savoir – faire sont prioritaires, notamment pour faire exploiter le M2MC : je pense par exemple au JAGIC (Joint air ground integration cell), sorte de « boîte à effets » qui intégrera l’aérocombat, les drones, les feux en profondeur, dans le but de détecter vite et de frapper loin et fort. Certaines capacités critiques seront également à obtenir et à renforcer, telles que les moyens du génie, la défense sol-air, etc.

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