Magazine DSI

« Nous assistons au grand retour de l’art opératif »

Le point d’orgue pour 2023 sera l’exercice « HEMEX – ORION », engagement inédit depuis des décennies par son ampleur, et qui verra le retour des grandes manœuvres dans un champ de conflictualité aéroterrestre et hybride élargi. Véritable opération de réappropriation du combat de grande envergure, il sera fondé sur un scénario d’engagement majeur, avec plusieurs tableaux portant sur le renforcement de la posture Terre sur le territoire national, l’entrée en premier de l’échelon national d’urgence, puis l’engagement d’une division en coercition (et en coalition, car plusieurs partenaires alliés participeront à l’exercice).

Les choix passés – faire primer la qualité sur la quantité alors que d’autres États (Pologne notamment) jouent sur les deux tableaux – montrent aujourd’hui leurs limites. D’un point de vue prospectif, l’armée de Terre a‑t‑elle encore vocation à servir d’exemple lorsqu’il est question de haute intensité ? Dans le jeu des montées en puissance, ne risque-t‑elle pas d’être à la remorque ?

À la remorque de qui ? De nos alliés ? Je ne le crois pas : en matière de technologie, l’armée de Terre est en pointe avec SCORPION. S’il faut parler de masse, notons qu’en comparaison des autres armées occidentales, l’armée française est l’une des rares à tenir ses objectifs de recrutement. Je peux vous assurer que mes homologues étrangers aimeraient en dire autant.

Mais, au – delà, l’enjeu pour nous n’est pas de résoudre la vieille dialectique de la qualité versus la quantité. Ces débats sont théoriques et, en l’état actuel, réducteurs. Le vrai sujet, c’est celui de la cohérence de notre modèle.

Cela suppose de savoir pour quel(s) besoin(s) on forge l’outil : nous ne sommes pas une armée de BITD, façonnée par et pour le tout technologique. Nous ne sommes pas non plus une armée de conscription en recherche de volume. Nous sommes une armée d’emploi, expérimentée et tournée vers les conflits de demain, qui doit être capable de peser dans tous les espaces stratégiques où la France a des intérêts : en Afrique, en Europe, dans les DROM-COM, dans le domaine de l’influence, mais aussi en Indopacifique.

En fin de compte, le but pour nous est de pouvoir commander un corps d’armée de l’OTAN et d’engager, dans un conflit de type première guerre du Golfe, une division complète « bonne de guerre », mais cette fois pas en flanc – garde. Nous devrons être capables de combattre au cœur de l’action principale. Si nous sommes capables de cela avant 2030, nous ne serons pas « à la remorque ». Nous serons même beaucoup mieux qu’en 1990.

Nous avons plusieurs chantiers face à nous pour y arriver. Nous devons conforter les chaînes de commandement opérationnel, avec un centre de gravité au niveau de la division, en franco-français, mais aussi en multinational, en particulier au sein de l’OTAN.

Nous devons accélérer la transformation capacitaire, en mettant en tête de nos priorités la profondeur et la transparence du champ de bataille, la complémentarité et donc le juste équilibre entre mêlée, appui et soutien, mais aussi en exploitant les opportunités du big data, en recherchant des solutions d’hybridation. Sinon, nous les subirons. Il faut s’inspirer de l’ingéniosité et du pragmatisme des Ukrainiens.

Nous devons avancer dans ces chantiers de manière réaliste, c’est-à‑dire en nous assurant à chaque étape que le modèle reste cohérent. Cette cohérence se construit dans l’espace : nous savons que nous ne ferons pas la « grande guerre » seuls, mais avec des alliés, et dans le temps. La modernisation des capacités n’est pas instantanée, y compris avec des achats sur étagère. Prenez les Polonais : ils veulent avoir 500 lance-roquettes multiples, mais ils ne les recevront pas dans deux mois !

Nous avons des atouts évidents pour réussir. Nous pouvons nous appuyer sur les fondamentaux solides d’une armée qui a combattu ces 30 dernières années : le moral et, partant, les forces morales sont élevées, notamment parce qu’elles reposent sur la forte cohésion des régiments et des brigades. J’ajoute qu’au – delà de la puissance de combat en tant que telle, l’efficacité des forces terrestres sera aussi fonction de l’attractivité du modèle. De celle-ci découlera la capacité à continuer à bien recruter et à bien entraîner une ressource humaine de qualité. L’équation humaine est, et restera, au cœur de nos défis de montée en puissance.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 7 décembre 2022.

Légende de la photo en première page : L’armée de Terre ne part pas de rien en matière de haute intensité, le tandem VBCI/Leclerc restant largement pertinent. (© Nexter) 

Article paru dans la revue DSI n°163, « Les forces sous-marines nord-coréennes », Janvier-Février 2023.
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