Ruptures technologiques, mais stabilité diplomatique ?
Les évolutions technologiques ne changeront pas rapidement la géopolitique du nucléaire, d’abord car les réacteurs en construction aujourd’hui seront toujours en activité dans une cinquantaine d’années. Trois principales évolutions sont néanmoins devant nous. Premièrement, le développement de réacteurs de petite taille construits en usine avant d’être assemblés sur site (les Small and Modular Reactors ou SMR) pourrait ouvrir de nouveaux débouchés : pays aux réseaux électriques réduits ne pouvant pas encaisser une centrale standard, alimentation d’industries et de communautés isolées, production de chaleur pour décarboner l’industrie, fabrication d’hydrogène, désalinisation de l’eau de mer, etc. Si des startups se sont engouffrées dans la brèche, le jeu d’acteurs reste contrôlé par les ingénieristes historiques. Sur les 72 modèles de SMR en développement, seuls 21 le sont par une nouvelle entreprise. Deuxièmement, les réacteurs dits « à surgénération » pourraient renforcer l’indépendance de leurs exploitants. Leur atout est d’exploiter entièrement l’uranium, et surtout son isotope 238, qui compose 99,2 % du minerai naturel et qui ne convient pas aux technologies actuelles, voire de consommer une partie des déchets nucléaires. Certains, comme l’Inde, en ont fait l’objectif ultime quand d’autres, comme la France, abandonnaient cette filière. Seuls trois surgénérateurs de taille industrielle étaient en fonction en 2022 en Russie, en Inde et en Chine. Enfin, troisièmement, la fusion ne devrait pas avoir d’application avant 2050 dans les scénarios les plus optimistes. Le 5 décembre 2022, les équipes du National Ignition Facility (NIF) aux États-Unis dévoilaient avoir, pour la première fois dans l’histoire, produit plus d’énergie par une réaction de fusion que celle introduite pour la déclencher. Même s’il s’agit là d’une avancée scientifique majeure, les défis restent nombreux et la méthode utilisée est difficilement transposable à un réacteur électrogène.
Combustibles et déchets : des questions géopolitiques
En conséquence, le développement du nucléaire dépendra toujours de la capacité à assurer l’approvisionnement en combustibles ainsi que leur gestion après utilisation. La disponibilité de l’uranium ne posera pas problème à moyen terme. Les ressources conventionnelles identifiées en 2020 sont évaluées à 8 millions de tonnes, soit 120 à 150 années de consommation au rythme de 2022. C’est sans compter les ressources secondaires provenant du recyclage, ainsi que celles non conventionnelles, issues par exemple de l’extraction du phosphate. Le reste de l’appareil industriel nécessaire à la fabrication du combustible est déjà en surcapacité. Pour les combustibles usés, l’enjeu est d’abord politique. L’année 2023 devrait voir s’ouvrir le premier site de stockage des déchets en couche géologique profonde au monde, à Olkiluoto, en Finlande. Si cette solution est présentée comme la référence à l’international, son coût représente un obstacle pour les pays souhaitant se nucléariser. L’AIEA a ainsi ciblé l’internationalisation de la gestion des déchets comme un axe prioritaire pour son développement. Mais les projets de centralisation de la gestion des déchets restent lettre morte, bien qu’un groupe de travail soit toujours en activité au sein de la Commission européenne afin d’évaluer la faisabilité d’un site de stockage régional. Rosatom a bien compris l’aspect stratégique de cet enjeu pour son développement international, intégrant à l’accord de vente du réacteur de Rooppur (Bangladesh) le rapatriement en Russie des combustibles après utilisation, un service que le droit français, par exemple, ne permettrait pas à Framatome d’offrir à d’éventuels clients.
Légende de la photo en première page : Centrale nucléaire à Jaslovske Bohunice, en Slovaquie. Alors que l’Europe fait face à une crise énergétique, plusieurs États ont lancé des projets de nouvelles centrales nucléaires. L’UE compte aujourd’hui 106 réacteurs nucléaires en activité dans 13 États membres. Des projets de construction (en projet, en phase de construction ou de démarrage) sont en cours en Finlande, en France, en Slovaquie, en Hongrie, en Bulgarie, en République tchèque, en Lituanie, en Pologne, en Roumanie et aux Pays-Bas. (© Shutterstock)