Au tournant du nouveau millénaire, la Chine a officiellement inauguré sa politique d’émergence pacifique sur la scène internationale. Légitimée par les succès fulgurants de ses réformes économiques lancées en 1978, Pékin souhaite désormais redessiner les rapports de concurrence sur les marchés internationaux et modifier la distribution de la puissance au sein des institutions internationales à son bénéfice, tout en s’affirmant en tant que leader et défenseur des intérêts des pays émergents.
Bien que certains y aient vu un défi pour la prééminence des États-Unis sur la scène internationale et pour le modèle libéral de l’Occident, d’autres ont prédit que la Chine s’intégrerait au système économique et politique international en se soumettant à ses règles et en faisant des choix géopolitiques pragmatiques, ce qui devrait assurer sa coopération continue avec l’Occident. Finalement, il y avait aussi ceux, particulièrement optimistes, qui croyaient que l’envie de la Chine de projeter sa nouvelle puissance hors de ses frontières témoignerait non seulement de sa transformation en acteur responsable et plus engagé sur la scène internationale, mais aussi de son évolution vers un régime politique moins opaque et autoritaire. L’idée prévalait que la Chine, en optant pour le modèle économique libéral à travers son intégration dans la mondialisation, se transformerait de l’intérieur pour s’aligner sur le modèle politique occidental. Deux décennies plus tard, c’est une image bien différente que donne la Chine.
« Cacher ses talents et attendre son heure » (韬恞养争髍时间)
Cet adage de Deng Xiaoping était le fil directeur de la diplomatie chinoise jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. La Chine fait profil bas dans les affaires internationales, en soumettant sa politique étrangère aux impératifs de son développement économique, fondé sur l’expansion de ses exportations et son insertion dans la mondialisation, qui s’est accélérée à la suite de l’adhésion chinoise à l’OMC en 2001. Les principaux objectifs de sa stratégie de « Going Out » (1999) soulignent justement cette priorité des objectifs économiques sur les ambitions de puissance ouvertement affichées. La Chine cherche donc à développer sa présence commerciale dans les pays en développement, à aider ses grandes entreprises d’État à s’internationaliser ainsi qu’à stabiliser son accès aux matières premières en diversifiant ses sources d’approvisionnement. Ses efforts ont été globalement couronnés de succès, en particulier en Afrique et en Asie centrale.
En instrumentalisant le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, la Chine est parvenue à y occuper des niches délaissées par les acteurs occidentaux à cause de l’instabilité politique, de la corruption systémique et des risques économiques trop élevés, dans un contexte post-guerre froide qui les laissait croire qu’ils pouvaient se permettre de choisir ainsi les bons élèves. En optant pour une approche sans conditionnalité politique, la Chine soutient les compagnies chinoises qui exportent leurs produits, capitaux et savoir-faire, réalisent des grands projets énergétiques et effectuent des acquisitions de gisements en Afrique, en Asie centrale notamment. Les banques d’État chinoises, libres des contraintes politiques associées au commerce et à l’aide au développement internationaux, offrent aux gouvernements africains et centrasiatiques de nombreux prêts à taux préférentiel ainsi que des crédits à l’exportation, en retour des permis d’exploitation des ressources naturelles. Bien que dans les faits cette politique tende à renforcer les régimes autoritaires et à accorder aux entreprises chinoises un monopole dans certains domaines économiques, aux yeux de la population locale et des élites politiques, les investissements chinois nourrissent l’espoir d’un avenir meilleur et d’une solution plus adaptée aux problèmes de développement que celles proposées par les Occidentaux. Dans le discours officiel chinois, cette approche « pragmatique » et « gagnant-gagnant » est présentée comme une alternative au cercle vicieux de la politique de l’endettement des Occidentaux fondée sur des principes perçus comme paternalistes et sur la conditionnalité politique — démocratie et droits de l’homme.
Cette approche fait partie de la nouvelle stratégie chinoise de l’émergence pacifique, censée se retrouver aux antipodes de l’ascension de l’Occident, qui a reposé sur l’expansion coloniale des grandes puissances, conduisant à des tensions et conflits armés dans le passé. Pékin ambitionne ainsi d’accroître sa puissance sans recourir à la force ni à la violence, en utilisant plutôt des instruments économiques et des outils de soft power, comme la création des nouveaux formats de relations bilatérales (Forum sur la coopération sino-africaine, Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS)) et la promotion des valeurs, normes et identités chinoises via le réseau des différents agents d’influence (instituts Confucius, chaînes d’information en continu en anglais, français, espagnol, arabe et russe mises en place par la China Central Television (CCTV)). Ce discours pacifique n’empêche pas Pékin de mettre en œuvre une stratégie régionale visant à réduire l’influence de Washington en Asie et à défendre la souveraineté chinoise, qu’il s’agisse de Taïwan, des îles Senkaku-Diaoyu ou des différends territoriaux et maritimes en mer de Chine méridionale (Paracels, Spratleys). Sur le plan militaire, la Chine reste discrète, bien que ses dépenses militaires augmentent de manière exponentielle. Pékin est surtout impliquée dans les opérations de sécurité et de maintien de la paix : lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden en Afrique de l’Est (2008), évacuation des ressortissants chinois de Libye (2011), envoi de Casques bleus sous l’égide de l’ONU dans les zones de conflit à partir de 2000, au Darfour notamment (2017). Quant aux exercices militaires conjoints avec d’autres pays, la Chine privilégie son environnement immédiat et s’entraine surtout avec les armées de ses voisins et partenaires dans le cadre de l’OCS, dont la Russie, qui commence alors à se rapprocher de l’orbite chinoise. Ces activités ont permis à l’Armée Populaire de Libération (APL) d’acquérir des expériences précieuses en matière d’interventions rapides dans des contextes différents, ainsi que d’apprécier l’importance de la protection efficace des voies de transport maritimes et terrestres pour sa sécurité nationale et sa projection de puissance.