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La Chine dans le monde : du profil bas à une place centrale au sein du système international

Le « Rêve chinois » (齌国梦) de Xi Jinping

Avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la Chine abandonne définitivement sa stratégie de profil bas et affiche une volonté de plus en plus manifeste de s’affirmer en tant que grande puissance capable de rivaliser avec les États-Unis. Cette rivalité ne se traduit pas seulement par une concurrence économique, elle est tout aussi présente dans la sphère idéologique. Pékin cherche désormais à diffuser sa propre vision du monde, de la modernité et de la gouvernance pour concurrencer le modèle occidental considéré comme dépassé mais encore dominant. Aux yeux de Xi Jinping, le monde est désormais entré dans une « nouvelle ère », pleine de turbulences et de défis, que l’ancien système de gouvernance globale, trop élitiste et dépendant des institutions financières américaines, ne peut pas gérer. Pékin ambitionne de réformer ce système en proposant des alternatives aux modèles existants, qu’il s’agisse des différents aspects du développement économique ou de la sécurité régionale et globale. La Belt and Road Initiative (BRI) est l’un des principaux instruments de cette ambition. Lancée en 2013 comme une seconde phase de l’internationalisation des compagnies chinoises, la BRI a rapidement évolué vers une offensive économique très flexible et ambitieuse qui englobe de plus en plus de domaines. Il ne s’agit plus seulement de stimuler les échanges commerciaux transcontinentaux en construisant des infrastructures, mais aussi de promouvoir les normes chinoises en matière de financement du développement, de développement durable, de cybergouvernance, de communications, de stratégies sanitaires, de médias sociaux, etc. 

En parallèle, la Chine applique désormais des stratégies testées en Afrique et en Asie dans ses relations avec l’Occident. Ainsi, Pékin a mis en place le Forum Chine-Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (2015) ou le format de coopération « 16/17+1 » (2012) avec les pays d’Europe centrale et orientale, qui lui permet d’exercer une pression sur l’UE en instrumentalisant les promesses de relance économique à des fins politiques. En Australie et au Canada, Pékin est accusée de financer les campagnes de certains candidats aux élections et d’exercer des pressions sur les relais d’opinion, y compris dans les universités, pour promouvoir son agenda politique et économique et mieux contrôler les opposants et les discours critiques à son endroit. 

La volonté du renforcement de la puissance chinoise est particulièrement apparente en Asie orientale, où les États-Unis ont lancé une série d’initiatives dans la région désormais appelée « Indo-Pacifique », pour resserrer les liens stratégiques avec leurs alliés et augmenter leur présence dans l’environnement immédiat de la Chine : négociation d’un partenariat transpacifique (abandonné par le président Trump puis porté par le Japon), doctrine de rééquilibrage stratégique vers l’Asie-Pacifique d’Obama, vision d’un « free and open Indo-Pacific » de Trump, relance du dialogue quadrilatéral (le Quad) avec le Japon, l’Australie et l’Inde et alliance militaire de l’AUKUS avec l’Australie et le Royaume-Uni. Ces développements ont été perçus par la Chine comme une menace à ses intérêts fondamentaux, justifiant ainsi son ambition d’élargir son périmètre de sécurité au-delà de Taïwan et des îles contestées en mer de Chine méridionale. Le rapprochement avec Moscou répond à ces mêmes inquiétudes, en permettant à Pékin de protéger son arrière-front continental et d’assurer l’accès aux ressources naturelles importantes. Bien que l’Asie demeure un terrain privilégié de l’offensive diplomatique chinoise, Pékin projette également sa puissance dans les régions plus éloignées mais stratégiques à long terme, comme l’Arctique. Ainsi, elle a repris à son compte l’idée russe d’une route maritime arctique pour l’intégrer à la BRI sous le concept de « route polaire de la soie », et a signé plusieurs accords de partenariat pour la valorisation des ressources arctiques russes, Moscou ayant besoin de se tourner vers la Chine depuis l’établissement de sanctions occidentales contre la Russie en 2014 (annexion de la Crimée), sanctions renforcées en 2022. 

Pékin déploie également une diplomatie active en Océanie et en Amérique latine depuis une dizaine d’années, faisant valoir son ouverture pour financer de nombreux projets de développement sans condition politique : la posture diplomatique chinoise est désormais globale et n’ignore aucune région du monde.

La Chine est également devenue plus proactive dans le domaine de sécurité. La modernisation militaire chinoise, en particulier dans les domaines naval et aérien, se poursuit à un rythme qui inquiète ses voisins de l’ASEAN, l’Australie, le Japon, l’Inde et les États-Unis. Soucieuse de protéger ses voies de communication maritime et ses approvisionnements en hydrocarbures en provenance de l’Afrique et du Moyen-Orient, elle a ouvert à Djibouti, en 2017, sa première base militaire à l’étranger. Plusieurs analyses laissent entendre que la Chine souhaiterait ouvrir une nouvelle base navale à Gwadar, au Pakistan. Par ailleurs, le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a suscité le renforcement de la présence stratégique chinoise en Asie centrale, avec la construction de deux avant-postes militaires au Tadjikistan afin de sécuriser le corridor du Wakhan, une source d’instabilité potentielle à la frontière avec la Chine. Il ne s’agit pas pour l’instant de véritables bases militaires, mais avec la possible diminution rapide du rôle sécuritaire russe dans la région, Pékin pourrait éventuellement élargir les paramètres de sa mission stratégique : des voix s’élèvent en Asie centrale pour contester la crédibilité de la garantie militaire de la Russie dans le cadre de l’OTSC, ce qui laisserait la possibilité pour la Chine d’offrir ses services en la matière.

À propos de l'auteur

Olga  V. Alexeeva

Professeure d’histoire de la Chine à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Canada.

À propos de l'auteur

Frédéric Lasserre

Directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques (CQEG), département de géographie, Université Laval (Québec, Canada).

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