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Réadapter notre modèle d’armée au nouveau contexte international

En résumé, la France de la guerre froide a mis en place un modèle de forces complet pour faire face à toutes les menaces du moment et mis en œuvre avec plus ou moins de bonheur toutes les pratiques de la confrontation, depuis la dissuasion nucléaire et conventionnelle en Europe jusqu’à l’assistance militaire à une armée alliée en passant par la saisie de points en fait accompli, l’intimidation, les frappes de rétorsion, l’engagement de « soldats fantômes » sur la durée ou au contraire l’intervention « coup de poing » visible, mais ponctuelle.

La transformation ratée

Le changement rapide de contexte international entre 1989 et 1991 n’imposait pas forcément de transformation profonde du modèle français. Dans un contexte d’obligations mondialisées et où le gros de l’armée française n’est plus fixé aux frontières, la force d’intervention est plus que jamais nécessaire. Le problème est qu’elle est très réduite. Dans la guerre contre l’Irak en 1990, la France n’a pu engager dans l’opération « Daguet » que six Groupements tactiques interarmes (GTIA), 60 hélicoptères d’attaque et 42 avions de combat, soit 16000 hommes au total. C’est la limite haute de notre capacité d’intervention alors que, par ailleurs, l’armée de Terre peut déployer 120 régiments de combat, infanterie, blindés, hélicoptères de combat, aux frontières de la France et que l’armée de l’Air peut mettre en œuvre 680 avions de combat.

La conséquence logique de la nouvelle insularité stratégique française est de pouvoir engager au loin le corps de bataille et donc de le fondre avec les unités d’intervention dans une grande force projetable. Avec la plus grande difficulté de soutenir un corps expéditionnaire lointain plutôt qu’aux frontières et la nécessité française de n’engager que des soldats professionnels, cette nouvelle force doit nécessairement être plus réduite que le corps de bataille et la force d’intervention réunis, mais elle peut quand même être importante.

La Loi de programmation militaire de 1996 prévoit ainsi de pouvoir déployer 60 000 hommes, tous professionnels, et 100 avions de combat en 2015. Pour être sérieux, il faut être capable d’intimider une armée complète de quelque pays ou organisation que ce soit, au moins le temps de coordonner son action avec celles des pays alliés, en particulier celui dans lequel on intervient. C’est le principe originel du corps d’armée, suffisamment fort pour vaincre les armées faibles et pour prendre à son compte une part importante du combat ou pour résister en attendant les renforts.

Bien entendu, ce corps d’armée expéditionnaire doit être transportable et soutenable de manière autonome sur la longue durée. Il faut donc développer ou acquérir des moyens de transport navals et surtout aériens, comme les avions gros porteurs C‑17 Globemaster, qui peuvent transporter le double d’un A400M Atlas et à plus grande distance, sans parler de la capacité de ravitaillement en vol. Il peut être possible aussi dans les années 1990 d’acheter et éventuellement rétrofiter des appareils russes ou ukrainiens à plus grande capacité encore. Bien entendu, il faut aussi disposer d’une structure de stocks et de flux permettant de soutenir un combat de haute intensité pendant des mois avec tous les moyens réunis. En troisième échelon, il faut préserver une capacité nationale permettant de fournir rapidement et à grande échelle des équipements ou ressources diverses, y compris humaines.

Cela était possible. Dans son Essai sur la non-­bataille, Guy Brossolet expliquait qu’il était utopique de vouloir disposer d’un système de défense efficace à moins de 3 % du PIB (2). C’était sensiblement le niveau de l’effort fourni par la France en 1990 juste avant que l’on décide, par simple mesure d’économie budgétaire, de le faire descendre régulièrement jusqu’à 1,5 %. À 3 % du PIB, le budget des armées serait actuellement de 75 milliards d’euros et non de 40 ou de moins de 30 s’il n’y avait eu de rebond à partir de 2015. Il serait même de 92 milliards d’euros si l’on faisait un effort identique (3,7 %) à celui des États-­Unis. Avec un tel niveau de ressources, on aurait effectivement disposé et plus encore du modèle 2015 imaginé en 1996 et l’on compterait infiniment plus dans le monde, et en particulier dans la crise actuelle. Au lieu de faire cet effort, la France, comme pratiquement tous les pays européens, a fait des économies.

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