Notre principal enjeu est aujourd’hui celui de notre survie face à notre impéritie intellectuelle envers le pouvoir des technologies. Technologies qui représentent bien moins une menace existentielle pour l’humanité, que l’humain lui-même.
C’est désormais un poncif que d’affirmer que la technologie est omniprésente, qu’elle impacte les vies de chacun et chacune d’entre nous. À tel point que cette assertion n’est plus même questionnée et est répétée à l’envi, comme s’il s’agissait d’une vérité absolue indépassable justifiant, par ailleurs, l’établissement de règles universelles pour se prémunir des conséquences négatives des objets technologiques. Pourtant, derrière l’apparente évidence de ce discours, se terre une complexité qui ne peut se satisfaire de pseudo-évidences conduisant inévitablement à l’affirmation de problématiques supposément universelles, nécessitant des solutions elles-mêmes présentées comme devant être universelles. L’idée d’un code d’éthique de l’intelligence artificielle (IA) est la plus récente illustration de cette propension à proposer des solutions normatives inadaptées à des problématiques mal comprises et donc mal posées.
Le monde ne peut, en effet, se réduire à un plus petit dénominateur commun que serait un code universel d’éthique appliquée à une technologie, quelle qu’elle fût. Tout d’abord, parce que les problématiques liées aux technologies ne sont pas universelles. Ensuite, parce que, contrairement à une croyance trop largement répandue, l’éthique n’est pas singulière mais plurielle. Enfin, parce que les technologies elles-mêmes ne peuvent être ramenées à un objet unique que serait la technologie. À simplifier la complexité, on en vient inévitablement à proposer des solutions inadaptées. Par ailleurs, l’articulation entre ces deux objets complexes que sont les technologies et les éthiques, ne peut s’approcher par la proclamation péremptoire de lieux communs.
Un vrai travail de réflexion, approfondi, honnête et aussi objectif que possible est nécessaire pour poser un diagnostic fiable sur lequel pourront être bâties des stratégies permettant de limiter les effets négatifs du développement technologique. Pour mener à bien ce travail, il est essentiel de faire preuve d’ouverture d’esprit et de s’extraire d’un discours lénifiant devenu doxa. Les quelques lignes qui suivent ont cette modeste ambition de proposer des perspectives différentes. Qu’elles suscitent le rejet, l’approbation ou l’intérêt, elles auront alors réussi à ouvrir un débat nécessaire.
Quels enjeux et quels défis pour les sociétés technologiques de demain ?
Les enjeux liés aux technologies sont nombreux et complexes. Ils le sont depuis les premières réflexions philosophiques sur la tekhnè, cette technique qu’Aristote définissait comme l’art qui consiste à mettre en œuvre des procédés visant à produire des outils qui imitent et complètent la nature. La technique renvoie donc à la fois aux méthodes et aux outils permettant de contrôler notre environnement en parachevant, toujours selon Aristote, « ce que la nature n’a pas la puissance d’accomplir » (1).