Une géographie du conflit
Depuis les années 1960, la géographie de la violence était restée à peu près la même, entre basses terres centrales de peuplement bamar ; très stables, et périphéries montagneuses peuplées de minorités ethniques centrifuges. Au cours de la décennie 2010, les conflits étaient concentrés dans les États Kachin (Nord), Shan (Est), Karen (Sud-Est) et, plus récemment Arakan (Ouest). Cependant, une nouvelle carte se dessine désormais.
L’épicentre du conflit est aujourd’hui la plaine de Birmanie centrale, à l’ouest du fleuve Irrawaddy, théâtre d’accrochages quotidiens. Historiquement stable, cette région a basculé : comme partout, le parti d’Aung San Suu Kyi y jouit d’un soutien important ; à l’inverse des états-garnisons périphériques, le maillage sécuritaire y était assez lâche, permettant à la résistance d’émerger ; certaines zones avaient une tradition de chasse, et les armes à feu rustiques y étaient assez répandues. Ce foyer se prolonge à l’ouest dans l’État Chin, près de la frontière indienne. Au total, une zone de conflit de 100 000 km2, où opère une nébuleuse d’acteurs : centaines de PDF aux noms et aux contours fluides, unités hétéroclites de la Tatmadaw, milices pro-militaires Pyu Saw Hti (cf. infra), criminels, déserteurs, etc. Des EAO historiques comme la Kachin Independence Army (KIA) au nord et le Chin National Front (CNF) à l’ouest fournissent armes et entrainement aux PDF.
C’est ici que le SAC est mis à plus rude épreuve : embuscades quotidiennes, attaques des postes de police et des checkpoints, accrochages dans les villes garnisons de Monywa et Pakokku. En parallèle, l’administration s’effrite du fait de la démission ou des assassinats des fonctionnaires. Dans plusieurs cantons, la Tatmadaw n’a plus les moyens d’une stratégie offensive et concentre ses forces sur le chef-lieu et une poignée de hameaux fortifiés, ravitaillés et défendus par hélicoptère, tandis que la résistance déploie son dispositif militaire, administratif, éducatif et sanitaire tout autour. La lutte armée se propage aux marges : des PDF traversent l’Irrawaddy pour porter le conflit vers l’est ; d’autres progressent vers le sud, vers la Basse Birmanie — et Rangoun.
Outre la Birmanie occidentale, un axe conflictuel se dessine au sud-est, dans les collines frontalières avec la Thaïlande. Dans l’État Kayah, stable depuis les années 1990, la guerre est de retour. La Karenni Nationalities Defence Force (KNDF) attaque même la capitale régionale Loikaw fin 2021. Ce petit État montagneux est d’autant plus stratégique qu’il surplombe Nay Pyi Taw, nouvelle capitale birmane depuis 2005 et sanctuaire de la Tatmadaw. Plus au sud, dans les États Karen et Mon, foyer de guérilla depuis 1947, la Karen National Liberation Army (KNLA) forme et équipe des milliers de combattants PDF de tout le pays et mène de violentes offensives. L’un des enjeux : contrôler l’autoroute entre Rangoun et Myawaddy, sur la frontière. Dans la pointe sud, la région du Tanintharyi, longtemps stable, a aussi basculé ; ici, bien que la KNLA joue un rôle de support, ce sont les PDF qui mènent le combat.
En dehors de ces pôles majeurs à l’ouest et au sud-est, le conflit se déploie de manière plus diffuse. Au nord, dans l’État Kachin, le vieux conflit avec la KIA suit un rythme irrégulier ; l’un des enjeux est le contrôle du jade de Hpakant. Le soutien de la KIA aux PDF n’est un secret pour personne ; leurs armes circulent jusqu’à Rangoun. Le SAC s’efforce de couper ce lien et, fin 2022, augmente la pression sur la KIA.
Dans l’Est, l’État Shan, foyer historique de conflit, reste agité. Néanmoins, on n’assiste pas à la même flambée qu’ailleurs : tout au plus des accrochages, parfois violents mais localisés avec la KIA ou la Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA). En réalité, l’essentiel des tensions oppose les EAO entre elles, sur fond de rivalités territoriales et économiques. Bien que des PDF émergent, ce sont souvent des proxies au service d’une EAO.
