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Birmanie : les défis de la « dernière guerre »

Enfin, les groupes de résistance ont l’avantage mental : malgré les difficultés et les lourdes pertes, ils observent le fléchissement de leur ennemi. La résurgence du conflit en Arakan a l’été 2022 joue aussi un rôle : face à l’AA, on espère que la Tatmadaw devra dégarnir certains fronts. 

Néanmoins, les défis demeurent : le prix des armes sur le marché noir s’envole en raison de la baisse du kyat et du contrôle des autorités thaïes et indiennes, et les PDF demeurent sous-équipées. L’inflation et la crise économique impactent les dons des civils ; les applications de paiement mobile, largement utilisées pour les envoyer, sont soumises au contrôle croissant des flux financiers et des télécoms. Sur le plan opérationnel, la résistance manque de puissance de feu et de coordination ; elle se heurte à la maitrise aérienne de la Tatmadaw, qui l’empêche de prendre des villes, même modestes. Les missiles sol-air légers (MANPADS), l’une des clés du conflit, sont hors d’atteinte. La seule EAO qui dispose de stocks conséquents est la United Wa State Army (UWSA), qui n’offre qu’un soutien discret a la résistance tout en traitant avec le SAC. Quant au NUG, sommé de fournir de telles armes, il manque de moyens et de réseaux.

Le conflit est meurtrier : selon l’Assistance Association for Political Prisoners (AAPP), plus de 2400 civils ont été tués depuis le début du conflit ; près de 6000 selon la compagnie de sécurité privée EXERA, dont plus de 2100 tués par la résistance pour leur soutien présumé au SAC — un chiffre rarement mentionné, mais qui illustre le défi de la réconciliation nationale si le conflit venait à finir. 

In fine, bien qu’elle monte en puissance, la résistance reste limitée à une guérilla rurale aux faibles moyens et une quelconque marche sur Nay Pyi Taw reste peu réaliste. En face d’elle, une armée birmane en difficulté, mais dure au mal et résiliente, encore loin de son point de rupture. L’un des scénarios possibles : un pays coupé en deux, entre une « Birmanie utile » sous contrôle du SAC entre Mandalay, Nay Pyi Taw, Rangoun et le delta de l’Irrawaddy, et partout ailleurs un territoire confus, superposant un archipel de présence militaire dans les villes et une mosaïque de PDF, EAO et groupes criminels dans les campagnes.

Le défi politique

Bien que la résistance militaire prenne de l’élan, l’opposition politique est en difficulté. Le National Unity Consultative Council (NUCC), chargé d’élaborer la future constitution fédérale, est traversé par les tensions. Avec ce projet fédérateur au point mort, l’unité de circonstance entre EAO et résistance bamar s’effrite ; les lignes de fractures ethniques et les agendas particuliers réapparaissent. Quant au NUG, il paraît peu crédible, du fait d’une politique et d’un leadership peu lisibles. Seulement financé par les dons clandestins, il n’a qu’une maigre capacité d’action. Dans les « zones libérées » de Birmanie centrale, il s’efforce de mettre en place une gouvernance locale à travers les People’s Administration Organizations (PAO) — une initiative qui se heurte au manque de moyens, aux coupures télécoms et à l’insécurité.

Sur le plan militaire, le NUG n’a pas les moyens d’appuyer les PDF, qui ont donc appris à grandir sans lui — et notamment grâce aux EAO. Par ailleurs, certaines PDF sont en désaccord idéologique avec le NUG, et refusent de lui prêter allégeance. In fine, le NUG n’a qu’un contrôle marginal sur les PDF, et l’idée d’une chaîne de commandement reste illusoire. En septembre 2022, un panel d’anciens diplomates prétend que la résistance (et, par un certain glissement sémantique, le NUG) contrôle 52 % du pays, contre seulement 17 % pour le SAC : une affirmation douteuse, aux critères obscurs, loin de la réalité du terrain.

De son côté, le SAC reste inflexible : pas de négociations avec le NUG ou les PDF, classés groupes terroristes. Il met en scène sa détermination : fin juillet 2022, il pend quatre prisonniers pour terrorisme, dont deux activistes connus — la première exécution judiciaire depuis 1974. Son objectif est la nouvelle élection générale, annoncée pour mi-2023. Changement majeur : le scrutin majoritaire cède la place à la proportionnelle ; cela devrait satisfaire les partis ethniques et le parti pro-Tatmadaw USDP qui, en dépit de scores honorables, ont souvent échoué à obtenir des députés. Min Aung Hlaing vise la présidence, mais les observateurs s’attendent à des fraudes massives et à de multiples incidents. 

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