Les six premiers mois du conflit russo-ukrainien nous ont apporté de précieux enseignements sur l’évolution du combat de haute intensité dans un contexte de symétrie opposant deux belligérants dotés chacun d’armements de haut niveau technologique. Ces enseignements doivent nous guider dans la nécessaire mise à jour des pratiques opératives, des doctrines et des futures orientations de notre base industrielle de défense.
Le retour des conflits de haute intensité aux portes de l’Europe bouleverse les équilibres stratégiques, les tactiques et les doctrines. Le champ de bataille se transforme en un espace multidimensionnel complexe, intégrant des systèmes de systèmes, de la robotique aéroterrestre et, de plus en plus souvent, de l’intelligence artificielle au sein des centres de commandement et de contrôle (C2) et des systèmes d’armes.
Quels enseignements tirer après les six premiers mois du conflit russo-ukrainien ?
« L’opération spéciale » russe imaginée initialement par le président Poutine comme une opération « éclair » s’est transformée en une guerre de position longue, de haute intensité sur les lignes de front, opposant des forces militaires bien entrainées et dotées de matériels de haut niveau technologique. Les forces ukrainiennes soutenues par l’OTAN bénéficient, entre autres, des livraisons régulières de systèmes d’armes américains, mais aussi de matériels anglais, canadiens, turcs, et français avec notamment le don de dix-huit canons Caesar. Du côté russe, seconde puissance militaire mondiale, l’engagement a été fortement sous-dimensionné en début d’opération, à partir de renseignement de mauvaise qualité : les fortes capacités de résistance ukrainienne et l’inefficacité opérationnelle de certains bataillons russes, souffrant chroniquement d’une logistique défaillante, ont engendré la situation actuelle. Les pertes importantes en hommes et en matériels de part et d’autre ont obligé les deux belligérants à constamment réadapter leurs dispositifs et à alterner les phases offensives et défensives. Les deux adversaires ont opté pour l’engagement systématique de drones aériens de toutes tailles, qu’il s’agisse des drones d’attaque MALE (Medium Altitude Long Endurance), des drones kamikazes ou des mini-drones porteurs de charges opérés comme une munition rodeuse par les combattants au sol. Du côté ukrainien, les drones d’attaque TB2 Bayraktar achetés à la Turquie, couplés à l’artillerie et guidés de nuit par le système satellitaire Starlink, ont permis à l’armée ukrainienne de ralentir puis de contenir le « rouleau compresseur russe » en détruisant de nombreuses positions, colonnes de chars et blindés. Du côté russe, l’usage systématique de drones de renseignement, de drones d’attaque, de drones porteurs de charges, a permis de réduire les capacités de résistance ukrainiennes et la pression des systèmes d’armes livrés par l’OTAN. On notera le rôle central des drones dans le réglage et le guidage de précision des tirs d’artillerie, dans le largage « à la verticale des cibles » de mortiers et grenades sur des positions de tranchées. La montée en puissance des drones d’attaque et des drones porteurs de charge a été décisive durant la guerre d’Arménie – Azerbaïdjan, durant le conflit syrien, durant la guerre du Yémen et durant le conflit russo-ukrainien. Il s’agit d’une tendance lourde qui transforme en profondeur les opérations militaires. Le très grand nombre de chars et blindés russes détruits par le trio « Drones – Artillerie – Guidage Satellitaire » doit susciter une réflexion globale et une révision des doctrines d’engagement traditionnelles. À l’avenir, quel jeune soldat acceptera d’intégrer un équipage de char, connaissant son niveau d’hyper-vulnérabilité aux attaques par drones ? Les colonnes de chars et blindés en mouvement devront être systématiquement protégées par une flotte de drones évoluant en soutien à la verticale de la colonne avec des systèmes de détection et de réponse automatisée aux lancements de missiles de type Manpad. Les chars et blindés devront tous être conçus en double mode piloté et téléopéré à équipage déporté hors du véhicule. Cette « dronification » du char de combat permettra de faire baisser le niveau de létalité durant les manœuvres et les projections de forces en profondeur. L’intégration de l’intelligence artificielle d’aide à la décision au sein des centres de commandement et de contrôle (IA C2) accélèrera toutes les étapes de la boucle OODA (Observation – Orientation – Décision – Action) en tant que modèle de prise de décision compétitive. La robotique associée à l’intelligence artificielle deviendra alors le facteur déterminant dans toute victoire militaire.
Le rôle de l’intelligence artificielle dans l’art de la guerre
Les puissances militaires mondiales considèrent l’IA comme un moyen de révolutionner la guerre et de prendre l’avantage sur leurs ennemis. Une guerre s’appuyant sur l’IA ne dépendra pas d’une unique typologie d’armes, de technologies ou de concepts opérationnels mais s’organisera autour d’un vaste ensemble de composantes intégrées, coopérant en mode « haute fréquence » au service du commandement militaire. La supériorité opérationnelle d’une armée sera alors déterminée par la quantité et la qualité des données qu’elle détient, par les algorithmes qu’elle développe, par les réseaux pilotés par l’IA qu’elle connecte, par les systèmes d’armes activés par l’IA qu’elle déploie et par les concepts d’exploitation proposés par l’IA qu’elle adopte pour créer de nouveaux modes de guerre. L’IA s’apprête à transformer l’art de la guerre dans toutes ses dimensions : de l’espace sous-marin à l’espace extra-atmosphérique, du cyberespace à l’ensemble du spectre électromagnétique. À très courts termes, l’IA interviendra dans la prise de décision stratégique, dans la conception et la planification opérationnelle, dans les manœuvres tactiques sur le terrain et dans le soutien administratif et logistique. L’IA rendra le processus de recherche et de neutralisation de cibles militaires plus rapide et plus efficace. Elle augmentera la précision de l’identification de la cible et minimisera les dommages collatéraux. Actuellement, ce processus repose sur la transmission des données issues de capteurs à un système d’armes qui ouvre le feu sur la cible, à travers une série d’opérateurs humains qui valident « manuellement » les différentes étapes de la séquence d’actions. L’IA va automatiser certaines des étapes du processus de décision en réduisant les délais intermédiaires. Elle permet de fusionner de grands volumes de données de capteurs, de les trier, de les hiérarchiser puis de transmettre au commandement militaire les informations exploitables. Durant l’opération militaire, de nombreuses composantes d’IA orienteront les actions des opérateurs humains.