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Les enjeux d’intégration de l’intelligence artificielle et de la robotique militaire sur le champ de bataille

Les premières fonctions justifiant les utilisations militaires de l’IA sont les suivantes :

 l’analyse en temps réel et l’automatisation de la réponse ;

 l’exécution de tâches automatisées simples à grande échelle ;

 le contrôle des systèmes robotiques semi-autonomes et autonomes ;

 la reconnaissance de modèles pour prédire des tendances futures ou détecter des anomalies ;

 la classification et la reconnaissance d’objets et de signaux dans de grands ensembles de données ;

 l’optimisation des systèmes pour atteindre un objectif ;

 l’amélioration de la qualité de la prise de décision.

L’IA accélère toutes les étapes de la boucle OODA en réduisant les délais « humains ». 

L’étape d’observation (O) de la boucle OODA bénéficie des apports de l’IA dans le traitement de grandes quantités d’informations bien plus rapidement et plus précisément qu’une analyse humaine. Un analyste géospatial humain numérisant des images pour rechercher spécifiquement un blindé de couleur verte sera limité par l’observation simultanée d’un ou deux écrans. L’analyste peut prendre plusieurs heures pour trouver ce blindé et risque de repérer par erreur un véhicule de couleur proche. En revanche, une plateforme de computer vision saura analyser des dizaines de flux vidéo hétérogènes et identifier plus précisément des signatures spectrales voisines que l’œil humain ne peut pas distinguer. 

L’IA enrichit les étapes d’orientation (O) et de prise de décision (D) en dépassant les limites cognitives humaines du traitement de l’information. Un algorithme de reconnaissance d’images peut s’entraîner sur des millions d’images en une seule journée, alors qu’un analyste humain serait formé pendant des mois sur des volumes d’images bien plus restreints. En plus de ses capacités d’aide à la décision en contexte militaire, l’IA peut prédire les résultats d’un plan d’action potentiel et évaluer des variables environnementales ou contradictoires qui échapperaient à une analyse humaine. L’IA fournit des capacités d’arbitrage des plans d’action et de redéfinition dynamique des priorités en prenant en compte, en temps réel, un large éventail de risques potentiels. 

Arrivés à l’étape cruciale de la prise de décision (D), les chefs militaires doivent agir dans des délais souvent très courts, avec précision et exactitude. Les humains sont par nature limités dans le temps dont ils disposent pour lire des rapports, observer des flux de données et établir des liens entre des entrées (inputs) et des sorties disparates. Une solution d’aide à la décision s’appuyant sur l’IA peut ingérer, traiter et synthétiser beaucoup plus d’informations à une vitesse surhumaine. Cela permet aux décideurs d’obtenir une représentation plus complète de la « vérité de terrain » lorsqu’ils en ont besoin. 

L’IA renforce la coordination des fonctions de combat (A). Grâce à ses capacités de prédiction, la technologie permet aux combattants de coordonner les fonctions de manière nouvelle et innovante. Concrètement, une solution de computer vision est capable d’identifier et d’assurer le suivi d’une cible, même lorsque celle-ci disparaît de la ligne de mire, derrière des bâtiments d’une zone urbaine dense ou lorsqu’elle passe dans un tunnel. En reconstruisant en temps réel le mouvement de la cible à l’aide de sa position, de sa vitesse de déplacement et de facteurs de contexte, l’IA peut non seulement maintenir le suivi, mais également prédire où la cible sera située vingt minutes plus tard. Cette capacité de prévision-prédiction de position est d’un grand intérêt opérationnel dans le cadre, par exemple, d’un guidage d’ouverture de feu de l’artillerie.

Dans des situations incertaines ou très évolutives, l’IA peut prendre en charge la redistribution dynamique des actifs en temps réel tout en optimisant certaines variables d’état du dispositif de combat. L’IA peut « voir en avance de phase » dans l’espace de combat en fournissant aux chefs militaires et aux combattants la capacité de voir vers l’avant et de réagir de manière proactive plutôt que réactive. Un cas concret est celui d’un analyste recevant un rapport indiquant qu’une ressource militaire adverse (typiquement un avion ou un drone) s’est déplacée de sa position normale vers un aérodrome voisin. Le renseignement humain sur le terrain confirme cette nouvelle activité. L’IA a le potentiel de connecter ces différents rapports traditionnellement cloisonnés et de brouiller les ressources défensives pendant que l’avion ennemi est toujours sur le sol ennemi, plutôt que d’attendre qu’il soit détecté entrant dans l’espace aérien ami. 

À propos de l'auteur

Thierry Berthier

Maître de conférences en mathématiques, cryptographie, chercheur associé au CREC ESM Saint-Cyr en cyberdéfense et directeur du groupe « Sécurité - Intelligence artificielle - Robotique » du Hub France IA.

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