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Étudier la stratégie : quel cadre de réflexion ?

Il va cependant de soi qu’aucun de ces travaux liés prioritairement à un sous – champ des ES ne pourrait exclusivement s’y rattacher. Prenons à titre d’exemple une étude menée par un étudiant de master (qu’il soit politiste, juriste, historien, etc.) s’intéressant à l’impact que peut avoir l’irruption de l’Intelligence artificielle (IA) dans les systèmes de C2 futurs, du point de vue de la prise de décision stratégique. Ce travail peut choisir de se concentrer prioritairement sur les aspects humains de ce phénomène, au travers de l’évolution de la prise de décision et de la notion même de « commandement » (sous-champ de la sociologie du fait militaire). Mais il devra aussi, pour être pertinent, présenter et analyser au préalable les caractéristiques techniques de ces nouveaux C2 (sous-champ des études techno – capacitaires), tout en reliant sa problématique aux évolutions doctrinales et opérationnelles de l’intégration interarmées dans les derniers conflits en date (sous-champ des études opérationnelles, ouvrant par exemple sur la question de la fusion de niveaux de l’action de force, ou des conséquences de la notion de reach back, etc.).

Ces recouvrements permanents entre les sous – champs des ES obligeraient donc, pour être complet, à préciser la hiérarchie qui les gouverne, de manière à éviter de confondre les RETEX à obsolescence programmée et les leçons stratégiques intemporelles dignes d’être conservées. On posera que si la théorie stratégique ne peut se passer des trois autres sous-champs sous peine de philosopher dans le vide, elle les surplombera néanmoins, en raison de la plus forte intemporalité applicative de ses résultats de recherche. Parce qu’elle se rapproche le plus d’une pensée (elle se différencie en cela des travaux doctrinaux), c’est bien cette théorie qui permettra de passer les buzzwords conceptuels les plus récents au filtre sélectif du raisonnement stratégique classique. Hiérarchisés selon un gradient d’intemporalité dépendant de leurs relations aux fins, aux voies et aux moyens, les sous – champs des études stratégiques pourraient en conclusion être modélisés schématiquement de manière assez simple (voir ci-contre). Un schéma qui, comme l’ensemble de cette réflexion, appelle naturellement la critique et le débat…

Légende de la photo en première page : La bataille d’Austerlitz, 2 décembre 1805 de François Gérard. La structuration des études stratégiques reste un angle mort, qui n’est pas sans conséquences méthodologiques. (© D.R.)

Article paru dans la revue DSI n°165, « Art opératif : gagner les guerres », Mai-Juin 2023.
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